mercredi 22 avril 2015

Je me sens loup


Nous passons notre vie à boucler des boucles. Apprendre à vivre notre caractère, nos peurs, nos bibittes. Comprendre l'autre, se dire nos vérités. Faire la paix avec notre passé. Pour boucler la boucle, les deux bouts du même fil doivent se toucher. Ils passent notre vie à bretter, à fouiner, à s’éviter. Un jour, ils se touchent. Une boucle bouclée, c’est pour la vie.

Je sais depuis toujours que je viens de France. Je sais depuis longtemps que je suis pas Français.

Mes ancêtres sont des coureurs des bois. C'est une évidence. Je me sens souvent chez moi au Québec et parfois pas. Je me sens chez moi à New York, à Londres et Vancouver, pas à Paris ni au Canada. Un de mes amis s'appelle Bory Seyni, du Niger. Noir, Blanc, Africain, Nord-Américain, pays riche, pays pauvre, musulman, catholique et pourtant, Bory est mon frère.

Le 7 avril dernier, j'ai réglé la plus grande question de ma vie. De toutes les rencontres entre un colonisateur et de futurs colonisés, celle des Français et des autochtones d’ici est la seule à s'être faite dans l'amitié. Nous permettez-vous de nous installer sur vos terres, a demandé le Français. Vous allez bien marier nos femmes, a dit l'autochtone.

Le mariage a duré 150 ans. C'est beaucoup de temps pour que le Français devienne autochtone dans le respect, le partage et les bois. Au moins cinq générations. Le 7 avril, le documentaire L'empreinte, réalisé par Carole Poliquin et Yvan Dubuc, et porté par le comédien Roy Dupuis, a révélé une partie de ce que je suis. Pour la première fois de ma vie, je sais non seulement d’où je viens, mais comment j’y suis venu.

À 60 ans, je sais maintenant pourquoi les mensonges des curés, pourquoi l'ignorance et l'asservissement des francophones, pourquoi les Anglais ne nous ont pas déportés, comme les Acadiens. Je sais pourquoi nous avons foutu les curés à la porte dans les années 60, pourquoi toute cette colère contre les mensonges cathos. Je sais aussi pourquoi cette colère ne durera pas. La boucle de mon identité est bouclée. Il n’y aura plus un seul sacrament pour la défaire. Les chiens aboient, la caravane passe et je me sens loup.

Je ne suis pas en colère. Les curés ont essayé de former un noeud dans mon histoire, empêcher le sang suivre son chemin du coeur au cerveau. Ça n’a pas marché. Pour boucler une boucle, il faut défaire des noeuds. Vous remarquerez, l'art autochtone est tout en courbes.

Il ne peut y avoir de colère. Je suis devant une fenêtre qui s'ouvre et qui laisse entrer un vent nouveau. Il sent la femme et la forêt. Il n'y a pas de soutane dans ce parfum.

Nous ne sommes pas des colonisés. Nous avons de la peine d'avoir quitté la femme qui nous a rendu heureux. Nous avons décidé de trahir nos frères pour l’Anglais. Mais nous ne parlons pas anglais. Nous parlons courbes et circulaire, l'Anglais parle ligne droite et vertical. Il ne parle pas notre langue dans tous les sens du terme. Il débarquait d’Angleterre, nous sortions du bois. Nous avons tourné le dos à la femme de notre vie, de peur de perdre notre identité. Or, c’était elle notre identité. C'est elle que je retrouve au moment où mes deux fils ont créé une nouvelle boucle le 7 avril.

Je suis un descendant de coureur des bois marié à une autochtone. Ma langue est le Français, ma mentalité est anglo-saxonne et mon ADN sent l’épinette.

Nous sommes distincts à cause de nos origines autochtones. Nos façons de faire, notre vision du monde. La langue est secondaire. Ces origines ne se voient pas à l’oeil, elles se sentent. Elles sont en nous.

Version 1 : l’histoire de la Nouvelle France est celle d’une rencontre entre les bons colons Français et les méchants sauvages. Les colons seront colonisés par les Anglais. Ils seront nés pour un petit pain et porteurs d’eau. Les autochtones sont des paresseux. Ils ne paient pas de taxes et vivent à notre crochet. Ils sniffent de l’essence et ça coute cher. Nous n’en avons rien à cirer. Après tout, ils ont ce qu’ils méritent. C’est l’histoire des curés et du PQ.

Version 2 : l’histoire de la Nouvelle-France débute par un mariage entre les nations française et autochtone. L’union dure 150 ans, après quoi le mari quitte sa femme au profit d’une « belle » anglaise. Les autochtones sont nos frères. Nous les avons laissés tomber, de peur de nous faire déporter, comme les Acadiens. En 1960, nous nous débarrassons de l’Anglaise dans une révolution tranquille. Est-il trop tard pour nous tenir debout? Cette finale n’a pas de fin.

La fin de l’histoire se lit en fonction de son début. Tout dépend de l’historien. Une histoire écrite par une soutane ne célèbre pas le même héros que celle de documentaristes.

Le nationalisme québécois est dans le champ. Il s’échaffaude sur des bases fermées, blanches et francophones. Des francos libres de gérer leur avenir. Ethnocentrisme. Notre histoire est d’abord autochtone. Nous ne pouvons parler d’avenir sans nous assoir avec nos frères. Pour savoir où on va, il faut voir d’où on vient, dit l’adage. Ben justement, depuis le 7 avril, je sais d’où je viens. J’ai besoin de temps pour reprendre mon souffle et la suite des choses.

Il ne reste pas grand chose de mon ancienne histoire, quelques confessionnaux remplis de soutanes vides. Les personnages demeurent. Ce qui s’est passé entre eux est en train de changer.

Le chemin et le sentier sont autochtones. La pêche, la chasse, la trappe, le saumon et le castor sont autochtones. Les mocassins, les mitaines, la chaleur. Mon rapport à la nature est autochtone. La paix est autochtone.

Toutes mes origines, Canada, Québec, Yamachiche, portent un nom autochtone. Je ne saisis pas encore toute la mesure de la misère et l’alcool des réserves. Au pow-wow de Kahnawake, après la crise d’Oka, une grand-mère passe sa main plissée dans les cheveux noirs et longs de mon fils. Dans son sourire, il y a autant de dents que de gencives. Nous avons déjà été assis à la même table.

Aux débuts de mon histoire, le chemin rétrécit en un sentier. Pour la première fois, les tomahawks et les mousquets ont disparu. Sur le bord de l’eau, les femmes sont en train de monter la table. Elle est ronde comme une éclaircie. Il y a une place pour moi.

La boucle est le début d’un cercle. Nous passons notre vie à nous rapprocher de notre identité. Nous venons de poser notre premier jalon. 2015 est l'an zéro de notre histoire, la fin de la Grande noirceur.





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