Il est facile, de nos jours, de se faire traiter de
rétrograde, de passéiste ou de résistant au changement. Il suffit de critiquer
les nouvelles technologies de la communication. Ces nouvelles technologies qui
nous donnent l’impression d’avancer en riant dans le temps.
Notre vie technologique a beaucoup changé depuis 30 ans.
En 1984, Apple lance le premier ordinateur personnel.
En 1991, World Wide
Web devient public.
En 1998, Google.
2001, iPod.
2003, iTunes.
2004, facebook.
2005, youtube.
2006, twitter.
2010, iPad.
La plupart de ces inventions ont été tripées par des
flos, dans des garages.
En 30 ans, nous sommes passés du statut de citoyens
libres à celui de citoyens libres.
Il y a 30 ans, nous étions libres de nos
mouvements. Aujourd'hui, nous sommes libres de nous faire rejoindre en tout
temps et en tout lieu, partout sur la planète.
Pour plusieurs, les avancées technologiques ont fait
évoluer notre liberté. Or, chaque innovation apporte sa contrainte.
Mon portable permet à mon carnet d'adresses de m'appeler
en tout lieu, y compris ma mère. Il me permet aussi de couper un lunch et une conversation
pour un petit meeting avec mon patron.
Les médias sociaux permettent de rendre virales des
photos de nu de la petite voisine.
Le numérique constitue une occasion en or pour les
entreprises de vendre nos informations personnelles. Plus WikiLeaks, plus Edward Snowden.
Si vous remontez au plus loin dans vos souvenirs, vous
constaterez une tendance lourde; avec le temps, les médias se rapprochent
inexorablement de vous, jusqu'à vous encercler, vous posséder, vous étouffer.
Le premier impact des nouvelles technologies est physique, car elles modifient
votre géographie. L’espace devient portable et sans fil.
Il y a 50 ans, les médias étaient gentiment rangés, la
télé dans le salon, la radio dans la cuisine et dans l'auto. Tout le reste du
territoire était, pour ainsi dire, vierge. L'imagination en menait large. C’est
cet espace que les médias grugent lentement pour l’offrir aux annonceurs.
L’espace commercial, les voleurs d’imaginaire.
Quand ma fille m'envoie en temps réel des images de la
mer Noire, en Bulgarie, une partie de l'exotisme du voyage disparaît.
Quand je vois tous ces gens penchés sur leur écran
portable dans le métro et un peu partout, je vois de la solitude et de
l'anxiété, pas de l'avancement.
Quand je vois tous ces gens liker leur propre photo sur facebook, je vois de la prétention et
du narcissisme. Et quand ce sont des amis, je dis sacrament.
Quand j'apprends qu'une femme a été arrêtée rapidement
après avoir volé un bébé, je dis bravo les filles sur twitter.
Ceci dit, si vous essayez de voler un bijou dans un souk
au Moyen-Orient, vous ne ferez pas 100 pieds. Là-bas, le bouche-à-oreilles et
la solidarité sont autrement plus rapides que twitter. Cela peut paraître
étrange à notre pensée, mais l'information circule très bien sans les médias,
l'information essentielle, je veux dire.
Que tout le monde sache où je suis en vacances,
j'étouffe.
Que tout le monde sache que j'ai presque eu un accident
et que fiou!, on est passés proche, je m'ennuie profondément.
Que tout le monde sache que j'aime ma photo, j'espère que
vous n'en avez rien à cirer.
Il n’y a pas d’amour dans les nouvelles technologies. Il
y a beaucoup de commerce et de contrôle. Le seul objectif de ces technologies est
leur croissance. D’abord, nous rendre captifs, la dépendance viendra bien assez
vite. Savoir comment nous dépensons, comment et où nous bougeons, colliger des
données sur nous et les vendre ensuite. Vous croyez que facebook veut votre
bien ? Vous avez raison, il en prend possession à chacune de vos visites.
Rétrograde ? Ailleurs, je dirais. Comme écrire un
texte sur du papier, en écoutant le vent dans les feuilles.
Excellent billet, je partage ton constat.
RépondreSupprimerQuoi de plus triste que de rencontrer quelqu'un dans la rue en sachant tout ce qu'il fait grâce à face de bouc? La rencontre perd sa magie.
Cet exemple tiré de ton billet illustre bien un sentiment que je partage également: «Quand ma fille m'envoie en temps réel des images de la mer Noire, en Bulgarie, une partie de l'exotisme du voyage disparaît.»
Quoi de plus triste que de ramener le travail et les chicanes à l'extérieur de la maison grâce au téléphone cellulaire? Et cette crainte démesurée de manquer quelque chose si on oublie son Iphone sur le comptoir de la cuisine!
Je suis bien content de ne pas avoir de cellulaire, car quand je me promène je suis libre, je vis mon moment, personne ne peut me joindre, c'est une réelle liberté, un moment et un sentiment qui vaut bien plus que le 40$ par mois avec textos illimités. Et quand je vois toutes ces belles filles l'été à Montréal, je me dis que penché sur mon petit écran je manquerais beaucoup trop de choses!
Suggestion de lecture: 10 Considérations sur le temps de Bodil Jönsson (éditions Gallimard).