mercredi 1 février 2012

L'invasion barbare


Je rentre de Cuba, où j’ai pu voir à l’oeuvre Los Tabarnacos, un groupe que je ne connaissais pas et qui n’a rien de musical. Los Tabarnacos est un animal québécois, francophone, âgé entre 18 et 30 ans environ. Généralement mâle, il se tient en meute et sa personnalité se réduit principalement aux volumes des biceps et des six packs abdominaux. Je crois que la formule du scénariste René Goscinny, épais physiquement et intellectuellement, situerait mieux les enjeux.
Los Tabarnacos se tient au chaud, au bar des hôtels, de préférence là où le forfait inclut l’alcool à volonté. Il s’y accote vers 9 heures le matin et là, y boit, y boit, y boit, igloo, igloo, igloo. Au fur et à mesure que le liquide entre, les mots qui sortent s’épaississent, comme les lèvres, le regard et l’ensemble de l’oeuvre. Les conversations varient entre le tout et le rien, chacune appuyant la philosophie Los Tabarnacos, On est là pour une semaine, c’est bar open, tabarnak, on va aouère du fun!
Le registre du Los Tabarnacos est vaste. Au restaurant, il engueule le serveur parce que le beurre n’a pas été servi à table en même temps que le pain puis, il crie à la ronde sa haine des bourgeois. Dans la grande salle à manger le midi, il pousse le talent à donner sa version du cri primal. Je dois être vieux jeu, quelque chose m’échappe dans cette forme d’humour. Seule limite à son talent, il n’a pas assez de doigts pour transporter plus de huit bières à la fois.
La musique cubaine est très agréable, les harmonies vocales, sensibles et émouvantes, même si on ne parle pas l’espagnol. Exemple: Hasta siempre Comadante, très jolie chanson dont vous pouvez apprécier toute la mélancolie sur youtube.com, mais que je vous souhaite d’entendre live. Durant la prestation de l’ensemble cubain en soirée, Los Tabarnacos réussit à se mêler dans ses pas et dans ceux des autres, à confondre le nord et le sud et à se faire transporter, saoul mort, par deux copains. Il est 20h.
Du point de vue généalogique, Los Tabarnacos descend de l’arbre, généralement vers 4 heures du matin, en route vers la grande finale. Le chemin pour se rendre du bar à la chambre est multiple, ce n’est pas la longueur qui compte, mais la largeur. Il passe par la piscine, en fait le tour autant de fois qu’il faut avant de se rendre compte qu’il tourne en rond, ça peut être long. Chemin faisant, il beugle contre les gens qui l’ont empêché de dormir la nuit dernière. Il n’y a rien à comprendre à son discours, il faudrait lui demander à quoi ça rime, mais la réponse risque d’être longue à venir. Pendant ce temps, autour de la piscine, un ensemble de 400 chambres héberge des touristes Italiens, Russes, Portugais, Allemands, Espagnols, Britanniques, qui essaient de dormir, public bien involontaire de ce spectacle de sons sans lumière.
Dans les corridors menant aux chambres, c’est l’heure du concours de celui qui ferme la porte le plus fort. Une porte en bois recouverte d’une feuille d’acier, ça peut faire assez de dommage au sommeil des autres, surtout quand on y met tout son coeur pour la fermer. Comme par hasard, Los Tabarnacos semble attendre de passer près de votre chambre pour hurler à son copain pourquoi il ne lui cassera pas la gueule. Cela n’intéresse évidemment pas le copain, ni le touriste qui ne dort plus, mais l’objectif est ailleurs, Los Tabarnacos a quelque chose à dire. Et il va le dire une fois, deux fois, cinq fois s’il le faut, ce n’est pas grave, s’il manque de salive, le bar est ouvert 24/7. Los Tabarnacos a le sens de l’éternité. J’ai mal à ma fleur de lys.
Un jeune homme a confié à mon fils qu’il devrait caler 150 bières pour rentabiliser son voyage à Cuba. Sur une durée de sept jours, cela fait 21 bières, ou 7,1 litres par jour. Aligner un voyage en fonction de la consommation d’alcool, il faut avoir de l’ambition.
Mercredi matin, j’ai déposé une plainte à la direction de l’hôtel en expliquant que, si ces joyeux lurons font partie de ma nation, nous ne sommes pas de la même famille. Les Cubains nous accueillent très bien. Le Canada et surtout le Québec, entretient des liens privilégiés avec Cuba, nous représentons le plus important groupe de touristes là-bas. En 2000, le président Fidel Castro a tenu à assister aux funérailles de l’ex-Premier ministre canadien Pierre-Eliott Trudeau.
Plutôt que d’aller marcher à quatre pattes à Cuba, Los Tabarnacos pourrait aussi bien visiter n’importe quel zoo près de chez lui. C’est moins loin, meilleur pour la santé, et il pourrait être surpris, ces animaux-là ont de la classe.
10 janvier 2010

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