mardi 17 décembre 2024

Un canard de bois


Les textes de l’IA sont « écrits par personne dans le but de ne rien communiquer », dit Robyn Speer, du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

ChatGPT, rejeton de l’IA, n’écrit pas. ChatGPT génère du texte, en fonction des probabilités dans l’ordre des mots.


Nous lisons des probabilités, présentées sous forme de texte.


ChatGPT est un compteur, pas un conteur.


ChatGPT ne communique pas. Il diffuse. Un téléviseur, un ordinateur, une radio ne communiquent pas. Ils diffusent. 


Communiquer est l’affaire du vivant.


Les cellules d’une plante communiquent. Les animaux. Nous.


Une roche ne communique pas.


J’aimerais voir à quoi tu ressembles, écris-je, pour mon cours de rédaction.

« Je suis un programme informatique, une intelligence artificielle textuelle, et je n'ai pas de forme physique ou d'apparence visuelle. Je suis simplement du texte affiché sur votre écran ».


« Adoptes-tu une approche particulière quand vient le temps d’écrire? », écris-je.


Je résume l’essentiel de ses réponses:

« Je comprends l’objectif et le public ».

« Je fais une recherche approfondie ».

« Je commence par une première version. Je prends du recul et relis attentivement ».

« Je travaille sur le style, en veillant à la fluidité et à la précision des phrases ».

« J’élimine les répétitions, simplifie les passages complexes ».

« Je fais une vérification minutieuse de l’orthographe, de la grammaire et de la ponctuation ».

« Je prends un peu de temps après la rédaction avant de faire la relecture finale ».


Tout ça en deux secondes?, écris-je.


ChatGPT ne comprend rien du tout. Il n’approfondit rien. Ne prend aucun recul, ne relit pas. N’a aucune idée de la fluidité ou de la minutie. Il emprunte à des attitudes humaines dont il ignore tout.


Encore un peu, on crierait à l’appropriation culturelle.


Dans mon dernier cours, j’ai demandé aux étudiantes étudiants quelques raisons pour lesquelles un bébé d’un an pleurerait. « Il a faim, il est inconfortable, il a des coliques, il a peur, il a froid ».


Des milliards de textes alimentent la banque de données de ChatGPT. Il a généré les mêmes réponses. Il ne nous a rien appris.


Règle générale, il ne nous apprendra pas grand chose. Il va juste créer l’illusion de l’écrire pour nous.


Je lui ai demandé de générer deux travaux de mon cours: un plan de communication et un communiqué de presse.


Imaginons que ces textes aient été exacts, ce qui n’était pas le cas.


Je les présente à mon client. Celui-ci soulève une contradiction de contenu. Je bafouille une réponse. Le client me prend en flagrant délit de cohérence, puisque je n’ai pas écrit les documents.


Partout dans le monde, un bébé d’un an pleure généralement pour les mêmes raisons.


Partout dans le monde, l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir suit les mêmes règles. Une aurore boréale s’explique par les mêmes phénomènes. Et les tremblements de terre, par les mêmes inconnues.


Des milliards de textes ne donnent pas nécessairement de meilleures réponses.


Lorsque je questionne un moteur de recherche, il me suggère une définition de dictionnaire, un article, un site. Des textes écrits par un humain pour un autre humain. Ou deux.


ChatGPT génère un résumé sans citer ses sources. Cela s’appelle du plagiat.


ChatGPT est un leurre. Un canard de bois au milieu du lac.


Une étudiante semble ébranlée. Un texte peut-il ne pas être une communication?, demandent ses yeux.


ChatGPT ne communique pas, mais plus vite que notre ombre.




samedi 28 septembre 2024

Lettre à Martin Sansregret

 

Bonjour Martin,


Il y a quelques mois, tu m’as envoyé une invitation à lire ton nouveau livre, « La face cachée de la bienveillance ».


Je n’ai pas la patience de lire un livre sur un écran, mais du temps pour réfléchir. Ce que j’ai fait cet été.


J’ai réfléchi que la bienveillance est passée des conseils naturels d’une mère dans sa cuisine, à une idée intellectualisée dans un livre.


Cela s’appelle vieillir.


Dans les années 60, le dimanche autour de la table, ça riait, discutait, pendant que maman nous servait, chante le piano de Frédéric.


Le temps d’un macaroni Kraft, maman nous instruisait sur l’étiquette et la bienveillance, tout ça sous le parapluie de la politesse.


Dis s’il-vous-plait et merci. Essuie ta bouche avec une serviette. N’interromps pas quelqu’un qui parle. Lave tes mains avant de manger. Ne parle pas en mangeant. Ne tire pas la langue. Prends soin de ton petit frère et ainsi de suite.


60 ans plus tard, ces conseils maternels font partie du « vivre ensemble », expression pléonastique s’il en est.


Le « vivre ensemble » est l’ensemble de règles régulant le vivre ensemble.


À la même époque, l’agriculture était l’agriculture. Un boeuf, des sillons, des semences, des récoltes et du temps. On ne la disait même pas « naturelle ». Elle était.


Au chalet, à La Conception, nous aidions monsieur Perreault à faire les foins. Les gerbes de foin en meulons ou balles de foin (merci Wiki), étaient montées à la fourche. Elles étaient ensuite transférées aussi à la fourche dans la « wagon », tirée par un tracteur Massey Ferguson rouge.


Du haut de mes 6 ans, ma volonté était plus forte que mes bras.


Il n’y avait pas de pesticides ni d’insecticides dans notre environnement.


Aujourd’hui, l’agriculture biologique côtoie la permaculture et la monoculture sur des rayons séparés. Chacune est devenue une approche universitaire, articulée dans des ouvrages, des films et des tutoriels, à base de science.


En 1959, lorsque l’agence américaine BBDO a lancé la campagne « Think small », pour Volkswagen, les textes racontaient des histoires. La première campagne publicitaire des temps modernes.


Des textes courts, grands, brillants, à relire.


Comment une égratignure sur un coffre à gants a transformé une VW Beetle en « Lemon ».


« Think small » a été le « big bang » de la publicité.


Aujourd’hui, des textes qui racontent une marque font partie du « storytelling », de la mise en récit. Des histoires stratégiques. On les raconte pour être reracontées.


La cerise sur la marque.


Les rumeurs de la ville, les légendes, font maintenant partie des outils de communication pour la mise en marché. Livres, films, analyses et cours universitaires à la clé.


À la même époque, la drave était pour nous une partie de plaisir. Nous chevauchions les billots qui flottaient sur la rivière Rouge, direction la scierie.


Nous étions les cow boys de la forêt flottante.


Quelques années plus tard, après quelques otites, ces activités ont été identifiées et cadrées par le mot « pollution ».


Et la surexploitation des forêts, la colonisation.


Il y a deux ans, j’ai appris que ma rivière et les terres des foins faisaient partie du territoire des Weskarinis, de la communauté Innu.


L’Histoire raconte généralement la version des vainqueurs.


Bref, une époque conceptualise la précédente.


La spontanéité des Beatles, le marketing des Backstreet Boys.


Pour un livre que je n’ai pas lu, le tien m’a fait beaucoup voyager.





mardi 23 juillet 2024

Aimer

 

Chris Bergeron a passé 35 années de sa vie dans le côté homme de son corps. Les suivantes, dans le côté femme.


Ce n’est pas grave, lui dit Mélanie Dunn, présidente de l’agence de communication Cossette. Nous t’aimons telle que tu es.


Un échange humain dans un espace sans cloison.


Mélanie Dunn a changé ma vie, dit Chris Bergeron, dans une entrevue avec Rebecca Makonnen, à la radio de Radio-Canada.


Chris Bergeron est Vice-présidente, Culture et créativité inclusive, chez Cossette.


Inclusive, comme dans tout inclus.


Pour la première fois de ma vie, dit-elle, je suis aimée pour ce que je suis.


Il faut entendre le ton. Merci la vie.


Dans les années 90, j’ai passé les cinq plus belles années de ma vie professionnelle chez Cossette.


J’aimais tout. L’intelligence. La confiance au talent des gens. François Duffar. Les partys de bureau.


Les plus beaux au Canada, dit mon ami Normand Chiasson.


En marchant l’allée vers l’édifice de l’ancien consulat américain, rue Docteur-Penfield, j’entendais des trompettes.


Cette semaine, Cossette a embauché mon fils Louis Karim.


Louis aime les discours qui avancent.


Ce qui est bien de ces discours, c’est qu’ils ne quittent jamais ceux et celles qui les ont appréciés.


L’agence peut-elle vous instrumentaliser, demande Rebecca Makonnen.


Je ne me souviens pas de la réponse de Chris Bergeron.


On peut chercher les poux.


On peut aussi vivre le moment.


Laisser les bons temps rouler.


Aimer.


Ça fait du bien.




dimanche 21 juillet 2024

Cet été

 

Cet été, je lis des peintres.


L’été dernier, c’était Dany Laferrière. La couleur des mots.


Cet été, c’est Titien, Rembrandt, Raphael, Picasso, Vermeer, Colville.


Les peintres sont rarement connus par un prénom.


Celui d’aujourd’hui s’appelle Edward Hopper. Un peintre américain du XXème.


Dans le livre Edward Hopper, de l’oeuvre au croquis, il est écrit quelque part le mot « épuré ».


Les toiles de Hopper sont tellement épurées qu’elles se résument souvent à un regard.


Un homme regarde. Une femme regarde. Un groupe regarde.


Une nature morte chez Hopper, c’est une pièce vide.


Nighthawks est sa toile la plus connue.


Une nuit de 1942, un couple est assis au comptoir d’un café, sur Greenwich Avenue, à New York. Le long comptoir forme un triangle.


Une oasis de lumière dans la nuit.


La femme mange un sandwich et l’homme fume une cigarette. À leur droite, sur une autre face, le dos d’un homme. À l’intérieur du comptoir, le serveur, en uniforme et casquette blancs.


Il y a souvent du vert dans les toiles d’Edward Hopper. Fauteuils, rideaux, boiseries, arbres, herbes, voiture, linge, trottoir vert pâle. Vert forêt, mon préféré.


Nighthawks est un moment suspendu. Celui où chacun est dans sa bulle. Seul avec son sandwich, sa cigarette ou rien.


C’est l’ambiance et le ton.


J’aimerais être assis à ce comptoir. Deux bancs à la droite de l’homme à la cigarette.


Un seul banc suggérerait que nous sommes ensemble.


Deux délimitent la frontière des bulles.


Mon ami Joseph et moi finissions nos soirées au Harvey’s, sur Côte-des-neiges. Ou au Montreal Pool Room, sur St-Lau.


Nighthawks in Montreal.


La peinture ouvre sur l’imaginaire d’un autre.


Le livre comme un écran.


La toile comme un film.


Et moi, un millionnaire.