samedi 28 septembre 2024

Lettre à Martin Sansregret

 

Bonjour Martin,


Il y a quelques mois, tu m’as envoyé une invitation à lire ton nouveau livre, « La face cachée de la bienveillance ».


Je n’ai pas la patience de lire un livre sur un écran, mais du temps pour réfléchir. Ce que j’ai fait cet été.


J’ai réfléchi que la bienveillance est passée des conseils naturels d’une mère dans sa cuisine, à une idée intellectualisée dans un livre.


Cela s’appelle vieillir.


Dans les années 60, le dimanche autour de la table, ça riait, discutait, pendant que maman nous servait, chante le piano de Frédéric.


Le temps d’un macaroni Kraft, maman nous instruisait sur l’étiquette et la bienveillance, tout ça sous le parapluie de la politesse.


Dis s’il-vous-plait et merci. Essuie ta bouche avec une serviette. N’interromps pas quelqu’un qui parle. Lave tes mains avant de manger. Ne parle pas en mangeant. Ne tire pas la langue. Prends soin de ton petit frère et ainsi de suite.


60 ans plus tard, ces conseils maternels font partie du « vivre ensemble », expression pléonastique s’il en est.


Le « vivre ensemble » est l’ensemble de règles régulant le vivre ensemble.


À la même époque, l’agriculture était l’agriculture. Un boeuf, des sillons, des semences, des récoltes et du temps. On ne la disait même pas « naturelle ». Elle était.


Au chalet, à La Conception, nous aidions monsieur Perreault à faire les foins. Les gerbes de foin en meulons ou balles de foin (merci Wiki), étaient montées à la fourche. Elles étaient ensuite transférées aussi à la fourche dans la « wagon », tirée par un tracteur Massey Ferguson rouge.


Du haut de mes 6 ans, ma volonté était plus forte que mes bras.


Il n’y avait pas de pesticides ni d’insecticides dans notre environnement.


Aujourd’hui, l’agriculture biologique côtoie la permaculture et la monoculture sur des rayons séparés. Chacune est devenue une approche universitaire, articulée dans des ouvrages, des films et des tutoriels, à base de science.


En 1959, lorsque l’agence américaine BBDO a lancé la campagne « Think small », pour Volkswagen, les textes racontaient des histoires. La première campagne publicitaire des temps modernes.


Des textes courts, grands, brillants, à relire.


Comment une égratignure sur un coffre à gants a transformé une VW Beetle en « Lemon ».


« Think small » a été le « big bang » de la publicité.


Aujourd’hui, des textes qui racontent une marque font partie du « storytelling », de la mise en récit. Des histoires stratégiques. On les raconte pour être reracontées.


La cerise sur la marque.


Les rumeurs de la ville, les légendes, font maintenant partie des outils de communication pour la mise en marché. Livres, films, analyses et cours universitaires à la clé.


À la même époque, la drave était pour nous une partie de plaisir. Nous chevauchions les billots qui flottaient sur la rivière Rouge, direction la scierie.


Nous étions les cow boys de la forêt flottante.


Quelques années plus tard, après quelques otites, ces activités ont été identifiées et cadrées par le mot « pollution ».


Et la surexploitation des forêts, la colonisation.


Il y a deux ans, j’ai appris que ma rivière et les terres des foins faisaient partie du territoire des Weskarinis, de la communauté Innu.


L’Histoire raconte généralement la version des vainqueurs.


Bref, une époque conceptualise la précédente.


La spontanéité des Beatles, le marketing des Backstreet Boys.


Pour un livre que je n’ai pas lu, le tien m’a fait beaucoup voyager.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire