dimanche 25 juin 2023

Obrigado

 


J’ai appris le portugais en prenant le métro.


Une ambiance soviétique, disent les murs. Du gris, du bleu gris et du vert gris.


Des wagons gris spacieux aux bancs rouges sur fond gris.


Une sonnette rappelle l’alarme des sous-marins durant la guerre. Elle annonce le départ de la rame.


Chez nous, le métro démarre sur trois notes de musique.


Les premiers mots de la rue sont Peugeot, Renault, Citroën, BMW, Mercedes, Dacia. Je n’ai jamais vu la plupart de ces véhicules et pourtant, je les reconnais.


Une langue étrangère familière.


Au McDo, près du site de l’exposition universelle, il n’y a que du portugais. Pas un mot d’anglais.


Beaucoup de commerçants ne parlent que le portugais. Apprends ma langue, dit le sous-texte.


Les portugais ont conquis le monde bien avant les Américains. Il y a quelque chose d’assumé dans leur utilisation de la langue.


À Lisbonne, le portugais roule sur l’Avenida da Libertade. Un nom de rue impensable au Québec.


Libertade est un nom de conquérant.


Un taxi nous emmène rue Calçada Agostinho de Carvalho.


Le chauffeur ne me dit rien. Pas un mot du trajet. Je regarde dehors.


Le prix de la course est 6,7 €. Il se jette sur mon billet de 10 € et me fait comprendre qu’il n’y aura pas de monnaie.


Il ne parle pas, il grogne.


Il me fait aussi comprendre qu’il ne descendra pas pour sortir la poussette du coffre.


Comme je fourvoie le canin avec la serrure du coffre, il descend pour sortir la poussette du coffre.


Sacrer en portugais ou en québécois, le ton est le même.


Le dinosaure est une langue à voix unique. Ce chauffeur ne le sait peut-être pas, mais sa race est déjà morte.


Deux jours plus tard, Marissia nous raccompagne.


25 ans, longs cheveux blonds, jeans déchirés, longs faux ongles rouges, écouteurs blancs vissés dans les oreilles.


La course a été payée à l’avance. Une transaction immatérielle.


Elle nous laisse à l’endroit indiqué par son GPS. Trois portes avant la nôtre.


Cette chauffeure ne me dit rien de plus que le dinosaure. Elle a passé le trajet, le corps dans l’auto et la tête ailleurs.


La cage d’escalier de l’édifice où nous habitons résonne comme celle d’Ismaïlia, en Égypte.


Des marches usées, une serrure métallique heurtant un cadre de bois. L’écho du vide. L’humidité froide de la pierre.


Le Portugal me semble plus nord-africain qu’européen.


Les premiers mots d’une langue étrangère se trouvent dans ceux que nous connaissons.


Je suis venu à Lisbonne pour écouter.


Écouter, comme dans lire.


Je n’ai pas dit un mot.


J’ai appris.


Obrigado.





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