samedi 28 juillet 2018

J'essaie de comprendre



Je brime ta liberté d’expression.

Je t’empêche donc de t’exprimer.

Je ne te reconnais pas la compétence de t’exprimer sur deux sujets. Pour deux raisons.

Il faut être descendant d’esclaves pour comprendre les échos de la souffrance des esclaves.

Il faut être descendant de génocidés pour comprendre les répercussions de la souffrance des génocidés.

Ainsi, l’histoire des hommes et des femmes ne pourrait être interprétée uniquement par des hommes.

Quand Claude Meunier a essayé avec La petite vie, le public a trouvé ça drôle.

Stephen Spielberg n’était pas né au moment du débarquement de Normandie. Son film Saving Private Ryan ouvre sur ce débarquement. Des vétérans ont dit que c’était exactement ça.

L’histoire du Canada doit donc être interprétée par des Blancs et des Autochtones.

Pas d’Autochtones, pas d’histoire du Canada.

Pas de Noirs, pas d’histoire de l’esclavage Noir.

Pas de Juifs, pas d’Arméniens, pas de Rwandais, pas d’Autochtones, pas de génocides.

Je t’interdis de t’exprimer sur tes sujets et pourtant, je n’ai aucune idée de ton propos.

Tout ce que je sais, c’est qu’il manque de comédiens Noirs dans ton histoire d’esclavage et que ton histoire du Canada ne compte aucun comédien Autochtone.

J’exprime donc mon ignorance.

En interdisant ta liberté d’expression, j’oblige ton public à demeurer ignorant.

L’ignorance génère l’ignorance.

La connaissance qu’auraient apportée tes projets se trouve dans l’histoire, la mise en scène, ta compétence, ton intelligence, ta sensibilité, ton expérience, l’équipe, votre créativité, tout.

Personne n’aura accès à cette connaissance.

Pour comprendre la souffrance, il faut l’écouter.

L’esclavagisme et le génocide reposent sur la négation de l’autre.

Tu te sens comment ?



1 commentaire:

  1. Hey Luc !

    Dans un billet publié cet été j'ai écrit ceci concernant la polémique à laquelle tu fais référence :

    "En gros, nous avons un spectacle qui raconte les meurtrissures d’une catégorie ethnoculturelle (trop) longtemps dominée et marginalisée, dans une société (encore) largement dominée par une coloration ethnoculturelle dans laquelle la diversité peine à être vue et être reconnue comme à la fois talentueuse et membre « naturelle » de la grande famille des Arts, un spectacle revisité par la vision toute particulière d’artistes – têtes d’affiche – issus de la catégorie ethnoculturelle dominante, qui a l’outrecuidance de prétendre parler de l’universel. Et l’on devrait applaudir, la fermer, ne pas objecter ou tout au moins ne pas souligner que si l’on veut véritablement « tisser des liens de manière universelle entre différentes pages d’histoire connues et moins connues – ou volontairement oubliées – qui ont mené l’humanité à asservir des peuples », on devrait commencer par ne pas oublier de faire collaborer, de faire sortir de l’inexistence ces descendants des peuples asservis n’ayant pas toujours la chance de parler et de raconter cette histoire qui reste la leur." - https://50nuancesdedave.wordpress.com/2018/07/25/chronique-estivale-politiquement-correcte-dun-ete-politiquement-incorrect/

    Grosso modo, comment je me sens? Bien. Et je n'ai aucun problème que "personne" n'ait accès à "cette connaissance" de cette mémoire" qui reste avant tout la mienne et dont je n'ai pas été propriétaire durant des siècles, ou que je n'ai pas eu mon mot à dire par rapport à cette "histoire" qui est une part fondamentale de mon identité, parce que ce sont toujours les Autres qui s'arrogeaient le droit - en m'ignorant totalement - de parler à ma place et de ne pas tenir compte de ma voix.

    Si l'ignorance doit triompher parce que dans ce Québec pluriel je reste dans les faits un invisible, alors qu'il en soit ainsi. Je veux dire, ce n'est pas comme s'il manquait des occasions de se sensibiliser à l'histoire des Autres (cf. le mois des Noirs) ou de pénétrer la mémoire des Autres (cf. la dernière exposition sur les artistes Noirs canadiens cet été au Musée des Beaux-Arts, etc.). J'ai écouté deux fois dernièrement le film "Hochelaga, terre des âmes" de François Girard, c'est magnifique en termes de plongée mémorielle. J'ai aussi appris que le réalisateur avait eu une démarche inclusive dans sa création cinématographique (qu'il se soit entouré et qu'il a consulté des Autochtones et Premières nations car il abordait quand même un pan de leur histoire/mémoire), personne n'a manifesté contre l'oeuvre. Le résultat de cette démarche me semble sauter aux yeux dans la salle obscure, et en dehors.

    Bref, je me sens bien, merci mon frère.

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