jeudi 24 août 2017

Le sel des baleines



Lorsque Jean-Pierre veut un café, il sort de chez lui et marche à la boulangerie, à six coins de rue. Trois à l’aller, trois au retour. Il dit deux ou trois niaiseries à la boulangère, commande un café et discute de la fournée du jour.

Un gars, c'est un mammifère qui dit une niaiserie et qui en rit. Une fille, c'est une mammifère qui lève les yeux au plafond quand un gars dit une niaiserie. Le gars s’amuse que la fille regarde au plafond, peut-être plus que la fille.

Jean-Pierre ne dit pas vraiment de niaiserie, il s’amuse. Appelons cela de la séduction communautaire. Bref, un café au goût de niaiserie, de pain et de boulangère, est toujours meilleur.

Lorsque j'envoie un courriel à ma fille Stéphanie, elle peut prendre douze heures avant de répondre. Lorsqu'elle va relaxer sur son île du fleuve St-Laurent, elle se donne trois jours.

À 30 ans, ma fille prend ses distances de son cell. Elle respire et se rapproche d’elle.

Jean-Pierre et Samia m'ont rapporté du sel rose de l'Himmalaya. Ils sont allés le chercher à Leh, au nord de l'Inde, entre le Pakistan et le Tibet. Si vous demandez à un Chinois où est Leh, il dira entre le Pakistan et la Chine. Une communauté est toujours une question de point de vue.

Avant de partir, Jean-Pierre a dit aller à la rencontre des derniers humains.

Il n’y avait pas beaucoup d’humains, et encore moins d’Himmalaya, il y a 225 millions d'années. Leh était sous le niveau de la mer, les baleines flottaient dans l'eau salée.

Sous la pression des plaques tectoniques, le fond de la mer a monté de 5000 mètres. En pieds, ça fait 18 300. En milles, trois et demi. Le sel est au ciel.

À cette altitude, Leh manque d’air, pas de sel. Aujourd’hui, les humains récoltent le sel des baleines dans pas beaucoup d’air.

Les citoyens de Leh ont banni les sacs de plastique depuis trois ans. Les baleines ne risquent plus de s'étouffer.

Il est écrit sur l’emballage que ce sel est bon pour la circulation. Je vais donc offrir à Jean-Pierre un moulin à sel contenant du sel rose de l'Himmalaya. Cela s’appelle de la reconnaissance communautaire.

Plusieurs personnes autour de moi prennent leurs distances de la technologie. Jean-Pierre et sa cafetière, Stéphanie et son téléphone. Ils créent un vide, comme une zone de confort.

Comme la nature a horreur du vide, elle y a installé le temps. Tu coupes la cafetière, tu éloignes le cell, tu tombes automatiquement dans le temps.

Le temps est exigeant, il faut l’occuper. Au cell, c’est plus paresseux, il faut le passer.

Une bonne façon d'apprécier la télé, c'est de l'éteindre.

Pour exister, la solitude a besoin d'une personne. Pour créer une communauté, il en faut trois.

Une cafetière, une boulangère et un Jean-Pierre.




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