lundi 21 août 2017

La chaleur de l'eau




Lorsque j’ai commencé à écrire ce texte, je n’ai pas vu que je l’avais déjà écrit. C’était le 1er juillet. Le texte s’intitulait Le pays. Il débute par la même phrase et prend un autre chemin par la suite.

En 1961, René Lévesque survole le territoire en direction de Fort Chimo. Il est ministre des Affaires hydrauliques du Québec. Il voit des arbres, de la roche et des lacs. Il ne voit donc rien.

En fait, René Lévesque se tourne vers le géographe Louis-Edmond Hamelin et demande où ils sont, car il n’y a rien en bas.

Il n’y a rien veut dire qu’il n’y a ni hommes, ni femmes ni habitations. Il n’y a rien veut dire qu’il n’y a qu’un habitat, et encore.

Lévesque faisait probablement référence à un rien sédentaire, celui qui laisse des traces, comme une maison ou un tracteur. Par définition, un rien nomade ne laisse pas de trace, ou si peu.

C’est comme entrer dans une pièce vide et dire qu’il n’y a personne. Ce n’est pas parce qu’il n’y a personne qu’il n’y a pas quelqu’un.

Ce que René Lévesque n’a pas vu, c’est qu’il y avait en bas un regard. Il protégeait le territoire.

Si cela se trouve, durant les dix mille années précédant le passage de René Lévesque en avion, des centaines d’hommes ont marché ce territoire et emmagasiné sa géographie dans leur mémoire.

Ils ont nommé les choses. Ce faisant, ils ont donné vie au territoire. Après dix mille ans, vient un moment où on le connait par cœur. Il n’est pas nécessaire d’y être, mais d’y avoir été.

Pour parcourir le millier de kilomètres le séparant de son territoire de chasse, le chasseur connait chacun des kilomètres par sa nature, sa température et sa géographie.

À force de coucher dehors, l’arbre est devenu le frère du chasseur et l’herbe, les cheveux de sa mère. D’ailleurs, l’expression coucher dehors n’existe pas pour le chasseur. Dans sa nature, il n’y a pas de dedans.

Enlève le nomade du territoire, il reste le regard. D’où l’expression tu peux sortir l’homme du territoire, mais pas le territoire de l’homme.

Tu ne peux sortir le regard de l’homme ni l’homme du regard.

Je ne serai pas celui qui traitera René Lévesque d’ignorant. Déjà, en 1967, le politicien Pierre Bourgault l’a traité d’épais. Je ne m’inviterai pas à leur table.

Si vous vous assoyez dans la rivière Rouge, à La Conception, à l’endroit auquel je pense, vous verrez la montagne de Joseph Pilon. On disait à l’époque la montagne à, pas la montagne de. Bref, vous ne verrez que des arbres et entendrez le cri du corbeau.

Si je m’assois à côté de vous, je vous conterai les étés de mon enfance, assis à cet endroit. Ces arbres contiennent les plus beaux souvenirs de mon enfance et la chaleur de l’eau.

Le passé ne meurt jamais. Il n’est même pas le passé, écrivait le romancier américain William Faulkner.

Il y a trois jours, j’étais assis dans ma rivière. Dans la montagne, il y avait tout.



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