Lorsque j’ai commencé à écrire ce texte, je n’ai pas
vu que je l’avais déjà écrit. C’était le 1er juillet. Le texte s’intitulait
Le pays. Il débute par la même phrase
et prend un autre chemin par la suite.
En 1961, René Lévesque
survole le territoire en direction de Fort Chimo. Il est ministre des Affaires
hydrauliques du Québec. Il voit des arbres, de la roche et des lacs. Il ne voit
donc rien.
En fait, René Lévesque se tourne vers le géographe
Louis-Edmond Hamelin et demande où ils sont, car il n’y a rien en bas.
Il
n’y a rien veut dire qu’il n’y a ni hommes, ni femmes ni
habitations. Il n’y a rien veut dire
qu’il n’y a qu’un habitat, et encore.
Lévesque faisait probablement référence à un rien sédentaire, celui qui laisse des
traces, comme une maison ou un tracteur. Par définition, un rien nomade ne
laisse pas de trace, ou si peu.
C’est comme entrer dans une pièce vide et dire qu’il
n’y a personne. Ce n’est pas parce qu’il n’y a personne qu’il n’y a pas
quelqu’un.
Ce que René Lévesque n’a pas vu, c’est qu’il y avait
en bas un regard. Il protégeait le territoire.
Si cela se trouve, durant les dix mille années
précédant le passage de René Lévesque en avion, des centaines d’hommes ont marché
ce territoire et emmagasiné sa géographie dans leur mémoire.
Ils ont nommé les choses. Ce faisant, ils ont donné
vie au territoire. Après dix mille ans, vient un moment où
on le connait par cœur. Il n’est pas nécessaire d’y être, mais d’y avoir été.
Pour parcourir le millier de kilomètres le séparant de
son territoire de chasse, le chasseur connait chacun des kilomètres par sa
nature, sa température et sa géographie.
À force de coucher dehors, l’arbre est devenu le frère
du chasseur et l’herbe, les cheveux de sa mère. D’ailleurs, l’expression
coucher dehors n’existe pas pour le chasseur. Dans sa nature, il n’y a pas de
dedans.
Enlève le nomade du territoire, il reste le regard. D’où
l’expression tu peux sortir l’homme du territoire, mais pas le territoire de l’homme.
Tu ne peux sortir le regard de l’homme ni l’homme du
regard.
Je ne serai pas celui qui traitera René Lévesque d’ignorant.
Déjà, en 1967, le politicien Pierre Bourgault l’a traité d’épais. Je ne m’inviterai
pas à leur table.
Si vous vous assoyez dans la rivière Rouge, à La
Conception, à l’endroit auquel je pense, vous verrez la montagne de Joseph
Pilon. On disait à l’époque la montagne à, pas la montagne de. Bref, vous ne
verrez que des arbres et entendrez le cri du corbeau.
Si je m’assois à côté de vous, je vous conterai les
étés de mon enfance, assis à cet endroit. Ces arbres contiennent les plus beaux
souvenirs de mon enfance et la chaleur de l’eau.
Le
passé ne meurt jamais. Il n’est même pas le passé,
écrivait le romancier américain William Faulkner.
Il y a trois jours, j’étais assis dans ma rivière.
Dans la montagne, il y avait tout.
Magnifique.
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