dimanche 8 janvier 2017

La valse des chevaux




Il y a des rythmes dont je me dis qu’il faut être heureux pour les jouer. À moins que ce ne soit le contraire, certains rythmes rendent heureux. Celui de Vénus, d’Alain Bashung, est de ceux-là. Un seul rythme, léger, du début à la fin. Lààà, un dard venimeux, lààà, un socle trompeur.

Le son du banjo domine. Le banjo est un instrument à quatre cordes, dont on ne sait jamais s’il rigole ou pas. Un son éphémère, rond comme la tristesse, une goutte de pluie. En l’égoudant, on bourrait aussi groire que le banjo a le dez bouché, gomme s’il avait le rhube.

Le son du banjo devance ceux du violoncelle et de la basse. Il donne le ton et le lieu, il était une fois dans l’Ouest.

Pour donner de l’ampleur à un rythme régulier comme celui-là, vous ajoutez des instruments. Cela donne un effet de crescendo, Le boléro, de Ravel, mais version country, à la Bashung.

Un crescendo comme celui du Bolero fonctionne comme si on montait le volume.

Ajouter des instruments sur un rythme martelé, c’est comme inviter de nouveaux compagnons. L’effet n’est pas le même. Le crescendo est vertical, il envahit. Le compagnonnage est horizontal, il étreint.

En musique, tout se passe très vite. La note qui suit donne le rythme à la précédente. Passons au hyper-ralenti. Le moment entre les deux notes devient un flottement, une jouissance de l'entre-deux. Comme si la musique était une forme de masochisme heureux. Ce sera comme cela entre la suivante et l’autre suivante, et ainsi de suite jusqu’à la fin. Une bonne pièce de musique ne compte pas une note de trop et il n’en manque pas une.

Toutes choses avec lesquelles il était bon d’aller. J’entends des sons de sabots, même si Bashung n’en a pas mis. Ils prolongent naturellement le banjo. Je vois même le cheval. Cactus, sable et scorpion. C’est la force de l’écriture et le début du génie de Bashung, il nous fait entendre ce qu’il n’a pas écrit.

Un jour, les Beatles ont imaginé l’histoire d’un groupe en tournée, Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band. Lorsqu’un journaliste a dit à John Lennon qu’ils avaient écrit le premier album « concept », Lennon a répondu je ne sais pas de quoi vous parlez.

Il dit quoi, le texte de Sgt. Pepper's? Tout dépend à quel bout on se place. L’un écrit l’histoire d’un groupe en tournée. L’autre entend celle du premier disque concept. L’auteur a beau donner le sens qu’il voudra, le lecteur en retire ce qu’il veut. Le succès des Beatles vient un peu des musiciens, et beaucoup du public qui a viré fou.

Le charme du texte vient de ce qu’il ne dit pas. L’auteur exprime ses idées par les mots et le lecteur cherche un sens dans ce qu’il trouvera autour. Je suis charmé non pas tant par les mots, mais par les images qu’ils me font évoquer.

Ajoute un banjo et valsent les chevaux.





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