Ça se passe à la télé. Quinze grues du port de Londres sont
alignées le long de la Tamise. Elles sont en deuil. Winston Churchill, homme
politique, cigare, scotch, fossoyeur d’Hitler, peintre, écrivain, maçon, visionnaire
de paix et père de famille, vient de mourir. Lorsque le bateau transportant le
cercueil passe devant le port, chaque grue incline sa flèche, un coup de
chapeau, de longs cous de girafes au ralenti. Je n’ai jamais vu un beau plan
comme celui-là.
Cette scène arrive
en ouverture d’un documentaire de deux heures sur le monsieur, Churchill, un géant dans le siècle. Les autres plans n’arriveront
pas à faire oublier les grues, pas même celui du château de 320 pièces, où
Churchill est né. J’ai vu le documentaire deux fois, pour être certain que
j’avais bien compris ce que j’avais vu. En réalité, je l’ai vu trois fois.
Durant 50 ans, Churchill
a écrit l’histoire de l’Angleterre. Il s’est parfois trompé. Il a eu raison
juste au bon moment quand, en 1940, il a dit à Hitler d’aller se faire voir.
L’autre a perdu les pédales et attaqué Londres. C’était le blitz. Churchill a fini par casser le nazi, en chantant avant le
temps with a little help from my friends.
Churchill s’est
probablement dit je vais planter ce bâtard. Et il l’a planté. C’est parfois
simple, une guerre. Tous les Britanniques, incluant le roi, l’ont laissé aller.
Il va le planter, qu’ils se disaient entre eux. Ils savaient que, sans
Churchill, Hitler sortirait ses canines.
C’est une question
de vision. Lorsque Churchill voyait le Kaiser Guillaume II augmenter ses
effectifs militaires, il voyait la guerre. Lorsqu’Hitler signait des accords
avec des pays d’Europe, Churchill voyait les invasions. Lorsqu’il a doté l’Angleterre
de forces marines, terrestres et navales, Churchill voyait des muscles.
La vision, c’est comme
René et Céline. Il a dit tu seras la plus grande. Elle a dit oui et ils l’ont
fait. La détermination mesure cinq mots. Elle peut prendre des années avant de
se réaliser.
La vision, c’est
aussi Albert Einstein. En 1915, il a vu des ondes gravitationnelles dans
l’espace, suite à la rencontre de trous noirs. Il aura fallu 100 ans pour que
la science voie enfin ce qu’il avait vu.
Le visionnaire est
une âme d’artiste, championne de quelque chose. Churchill champion de la
guerre, Céline championne de la voix, René champion de Céline, Einstein
champion de l’univers.
Le narrateur dit
que Churchill a eu quatre passions : le danger, le cigare, l’alcool et la
littérature. Le danger, certainement. Churchill faisait la guerre pour vaincre.
Il a promis aux Anglais du sang, des larmes, du labeur et de la sueur. Ils les
ont eus.
Ça a l’air facile
à dire après coup, mais il fallait y penser et surtout, le faire. Pour
combattre la dépression, Churchill peignait des tableaux sur des champs de
bataille. Ce n’est pas une apologie de la guerre, mais du regard et du geste.
Après la guerre,
Churchill a vu un rideau de fer qui n’existait pas encore. Il a aussi parlé
d’un marché unique d’Europe qui n’existait pas encore. Certains membres du parlement
ont dû se pencher sous la table pour ramasser leurs esprits (merci Les
Cyniques).
Lorsqu’il regarde
une montagne, le visionnaire voit le temps. Pour écrire l’histoire, Churchill a
vu la guerre. Ensuite, il a vu la paix, et l’an 2000.
Churchill est en
maillot de bain. Il va se laisser aller dans une glissade d’eau. L’air sérieux
du gars qui s’en va à la routine, il glisse, la tête en bas.
La grandeur, ce ne sont pas des salves de coups de canon,
ou des avions de chasse, le jour de ton enterrement. Ça, c'est du folklore. La
grandeur, ce sont des grues qui laissent aller leur peine à ton passage. La
grandeur vient toujours d'où on ne l'attend pas.
Salut Luc,
RépondreSupprimerJ'ai suivi ton cours de rédaction à l'UDEM il y a plus d'un an. Je continu à te suivre sur ton blog. J'espère que tu vas continuer à publier tes billets. J'ai du plaisir à te lire. A+