dimanche 14 février 2016

Un beau plan comme celui-là




Ça se passe à la télé. Quinze grues du port de Londres sont alignées le long de la Tamise. Elles sont en deuil. Winston Churchill, homme politique, cigare, scotch, fossoyeur d’Hitler, peintre, écrivain, maçon, visionnaire de paix et père de famille, vient de mourir. Lorsque le bateau transportant le cercueil passe devant le port, chaque grue incline sa flèche, un coup de chapeau, de longs cous de girafes au ralenti. Je n’ai jamais vu un beau plan comme celui-là.

Cette scène arrive en ouverture d’un documentaire de deux heures sur le monsieur, Churchill, un géant dans le siècle. Les autres plans n’arriveront pas à faire oublier les grues, pas même celui du château de 320 pièces, où Churchill est né. J’ai vu le documentaire deux fois, pour être certain que j’avais bien compris ce que j’avais vu. En réalité, je l’ai vu trois fois.

Durant 50 ans, Churchill a écrit l’histoire de l’Angleterre. Il s’est parfois trompé. Il a eu raison juste au bon moment quand, en 1940, il a dit à Hitler d’aller se faire voir. L’autre a perdu les pédales et attaqué Londres. C’était le blitz. Churchill a fini par casser le nazi, en chantant avant le temps with a little help from my friends.

Churchill s’est probablement dit je vais planter ce bâtard. Et il l’a planté. C’est parfois simple, une guerre. Tous les Britanniques, incluant le roi, l’ont laissé aller. Il va le planter, qu’ils se disaient entre eux. Ils savaient que, sans Churchill, Hitler sortirait ses canines.

C’est une question de vision. Lorsque Churchill voyait le Kaiser Guillaume II augmenter ses effectifs militaires, il voyait la guerre. Lorsqu’Hitler signait des accords avec des pays d’Europe, Churchill voyait les invasions. Lorsqu’il a doté l’Angleterre de forces marines, terrestres et navales, Churchill voyait des muscles.

La vision, c’est comme René et Céline. Il a dit tu seras la plus grande. Elle a dit oui et ils l’ont fait. La détermination mesure cinq mots. Elle peut prendre des années avant de se réaliser.

La vision, c’est aussi Albert Einstein. En 1915, il a vu des ondes gravitationnelles dans l’espace, suite à la rencontre de trous noirs. Il aura fallu 100 ans pour que la science voie enfin ce qu’il avait vu.

Le visionnaire est une âme d’artiste, championne de quelque chose. Churchill champion de la guerre, Céline championne de la voix, René champion de Céline, Einstein champion de l’univers.

Le narrateur dit que Churchill a eu quatre passions : le danger, le cigare, l’alcool et la littérature. Le danger, certainement. Churchill faisait la guerre pour vaincre. Il a promis aux Anglais du sang, des larmes, du labeur et de la sueur. Ils les ont eus.

Ça a l’air facile à dire après coup, mais il fallait y penser et surtout, le faire. Pour combattre la dépression, Churchill peignait des tableaux sur des champs de bataille. Ce n’est pas une apologie de la guerre, mais du regard et du geste.

Après la guerre, Churchill a vu un rideau de fer qui n’existait pas encore. Il a aussi parlé d’un marché unique d’Europe qui n’existait pas encore. Certains membres du parlement ont dû se pencher sous la table pour ramasser leurs esprits (merci Les Cyniques).

Lorsqu’il regarde une montagne, le visionnaire voit le temps. Pour écrire l’histoire, Churchill a vu la guerre. Ensuite, il a vu la paix, et l’an 2000.

Churchill est en maillot de bain. Il va se laisser aller dans une glissade d’eau. L’air sérieux du gars qui s’en va à la routine, il glisse, la tête en bas.

La grandeur, ce ne sont pas des salves de coups de canon, ou des avions de chasse, le jour de ton enterrement. Ça, c'est du folklore. La grandeur, ce sont des grues qui laissent aller leur peine à ton passage. La grandeur vient toujours d'où on ne l'attend pas.






1 commentaire:

  1. Salut Luc,
    J'ai suivi ton cours de rédaction à l'UDEM il y a plus d'un an. Je continu à te suivre sur ton blog. J'espère que tu vas continuer à publier tes billets. J'ai du plaisir à te lire. A+

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