mardi 9 juin 2015

Chagrin d'école


C'est le livre de la partie cancre de mon enfance. L'auteur Daniel Pennac raconte son parcours scolaire. Il a débuté ti-cul cancre à l’école et un jour, son nom est entré dans le dictionnaire Robert. Lorsque sa mère a appris la nouvelle à la télé, elle a demandé à son autre fils Tu crois qu'il s'en sortira un jour?

Nous sommes à la page 2 de Chagrin d’école. Il y en a 305 comme ça.

En écrivant leur histoire, certains auteurs racontent aussi celle des autres. Tout jeune qui a connu les joies d'un chalet l'été retrouve une partie de son enfance dans Le château de ma mère, écrit par Marcel Pagnol et porté au cinéma par Yves Robert. Les étés d'enfance du petit Marcel se passent dans les montagnes de Provence. Les miens, dans la vallée de la Rouge, du nom de la rivière. Lorsque Marcel réfléchit dans sa montagne, les rayons de soleil dansent sur ma rivière.

Je lis deux choses dans le récit de Pagnol, comme dans celui de Pennac. Il y a ce qu'ils écrivent et ce que je vois. Pagnol parle de mon enfance en vacances, Pennac, de ma cancritude à l’école. Mes souvenirs de l'école primaire sont composés d’images pas de sons. Comme je faisais partie des derniers, j’étais assis au fond à droite, dans une classe lumineuse, la maitresse en avant.

Lorsque la maitresse pose une question, le cancre lève le panneau de son bureau pour regarder à l’intérieur, comme s’il lui venait subitement le goût de creuser une idée. La tête enfouie dans le bureau, il se sent comme un perdu dans une grotte d’ours. Les yeux voient des livres qu’ils ne cherchent pas. Cela rend la situation farfelue et la longueur du temps pénible. Si le cancre se mettait à la place de la maitresse, il verrait 25 visages et un panneau en bois ouvert.

À l’intérieur du bureau, le malaise évolue à une vitesse exponentielle sur la courte ligne du temps. Entre le moment où la maitresse a posé sa question et celui où elle choisira un jeune pour y répondre, il se passe quelques secondes. Le temps devient élastique. La maitresse doit bien voir le panneau levé, cachant la tête du cancre chercheur. Elle se demande peut-être si elle va mettre le cancre sur le gril ou si elle le laisse mariner dans son malaise exponentiel. Bref, la cancritude mesure une éternité.

L'école primaire avait l'odeur des crayons à mine HB jaunes. Je ne savais pas à l'époque de quel bois ils étaient faits. Beaucoup plus tard, dans la vallée de la Rouge, nous allions installer une clôture le long du chemin menant à la maison familiale. En manipulant les piquets de cèdre, l'odeur de mes crayons HB jaunes est revenue. Ils étaient en cèdre.

Le cèdre a un look résolument country. Il ressemble à un fossile d’arbre un peu tout croche, c’est ce qui fait son charme. Ce bois ne pourrit pas à l'air libre. Il ne se cloue pas, il s'attache avec du fil de fer. C'est donc lui qui a servi durant toutes ces années à écrire dans des cahiers Hilbroy Canada. À l'endos de ces cahiers, il y avait les tables de multiplications, de 1 à 12, que mademoiselle Bourassa me faisait répéter après l'école. Il y avait deux mademoiselles Bourassa, deux soeurs célibataires et grises. Dans les tables de 5 et de 10, je me sentais champion. Mademoiselle Bourassa préférait me demander les tables de 6, 7, 8 et 9. Sept fois huit et neuf fois sept, je marchais sur un champ de mines.

Il y a deux types d'écoles. La grosse, la plus répandue, celle qui veut mettre au pas. Celle-là est une lutte à finir, je vais vous montrer c’est qui le boss. Cette école marche à plein régime, tellement bien, les élèves arrivent dociles à l'université, comme autant de livraisons de missions accomplies. C’est mademoiselle Méthot, distribuant les claques derrière la tête du cancre qui avait écrit Je tenai, au lieu de Je tins, dans sa conjugaison du verbe tenir. Je n’avais jamais vu une locomotive foncer sur moi auparavant. Les Looney Tunes n’ont rien inventé.

À l’université, il est facile de reconnaître les jeunes issus de cette école. Il suffit de leur offrir un dialogue, d'ouvrir la porte de la conversation, pour croiser des regards d'incrédulité. Après quelques semaines, le régime des portes ouvertes porte ses fruits, les langues se délient. La majorité des cours se donne sous la forme magistrale. Le prof parle pendant trois heures, les jeunes prennent des notes pendant trois heures. Soumettre est un verbe.

La seconde école est celle de la conversation. Enseigner pour faire apprendre, mais par l'échange. Cela débute par un qu'en pensez-vous? Le prof se place en léger désiquilibre vers l'avant, en position d'écoute. Les jeunes répondent par un léger désiquilibre vers l'avant, en position de parole. Cette école provoque inévitablement des rencontres.

Les profs de l’échange se font dire qu'ils n'enseignent pas comme les autres. Avec eux, il n'y a pas de stress. La curiosité ne peut contenir de stress. Pour prendre sa place, la connaissance doit se déposer sur le lit calme de la rivière.

Mon nom n’est pas dans le dictionnaire. Ce que je n’apprenais pas à l’école, j’allais le chercher dans des bandes dessinées. Je lisais Tintin ou Les histoires de l’oncle Paul, plutôt qu’Agaguk. Aujourd’hui, dans mes cours, je prends soin des rebelles, ils font généralement partie des meilleurs. Enseigner Agaguk n’est pas assez. Le truc, c’est d’enseigner à aimer Agaguk.





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