Pendant longtemps, le magazine français Paris Match s’est identifié à la formule Le poids des mots, le choc des photos.
Une ligne particulièrement bien tournée, comme si les mots et images étaient
complémentaires. C'est curieux, j'ai toujours pensé que les deux ne
faisaient qu'un. Que mots et images n'étaient que les facettes d'une seule et
même chose, le pile et le face d’une même réalité.
Ce matin,
5h20, je marche sur la plage de Pine Point, Maine, en direction d'Old Orchard.
Cinq kilomètres aller-retour. Dans mon dos, le soleil se lève. Mon ombre sur la
plage semble infinie, ma tête n'a jamais été aussi loin de moi. Je suis grand.
Mes jambes doivent être celles de l’échassier bizarre, personnage fantastique
du chanteur Français Julien Clerc. Sur une jambe, il patinait. Moi, je marche.
Comment
mesurer une telle ombre? Si je fais l'erreur de courir après pour rejoindre la
tête, elle se sauvera aussi vite. Et comme ses jambes sont tellement plus
longues que les miennes, je pars deuxième. Un truc serait d'attendre midi,
l'ombre sera alors entièrement emprisonnée sous moi. Je préfère ruser. Lorsque
ma tête ombrée passe près d'un tas d'algues, je mesure la distance qui me
sépare de ces algues. À 88 pas de trois pieds, je mesure donc 264 pieds. C’est
29 étages, 43 fois ma taille. Je me sens puissant. Avec d'aussi longs bras, je
pourrais attraper le goéland sur la plage là-bas. Ce petit bêta pense que je
suis loin, mais mon ombre est sur lui. Un geste et je l’attrape par le cou. Je
le place dans une cage puis, comme Prévert, j’efface un à un les barreaux.
Un bon écrit, c’est une image. Lorsque Michel Lopez
évoque, dans une brochure touristique, les voiliers du début vingtième, naviguant
devant le château Frontenac, je les vois passer. Je peux même dire la couleur
des voiles, même si Michel ne l’a pas écrite. Michel écrit des mots, je lis des
images. Je ne sais pas si son client d’alors, le Canadien Pacifique, se
souvient de Michel mais moi, je vois encore ses voiliers.
Dans Astérix en Corse, lorsque le chef Ocatarinetabellatchichix
dit ce saucisson est tellement frais, on
croirait l’entendre braire, vous savez que la brebis corse a du caractère,
elle est susceptible. Vous pouvez même ajuster le volume pour mieux l’entendre.
Avec ses mots, le scénariste René Goscinny était un maître de l’image.
Patrick Sünskind est allé plus loin avec son roman Le parfum. Tu lis le texte, page après
page, il sent le parfum. Pour la même raison, j’ai arrêté de lire Putain, de Nelly Arcand. Les mots
sentaient trop le sperme.
Une bonne image, c’est une histoire. Lorsque le
concepteur René-Michel Vachon montrait en noir et blanc un vieux, une bouillotte sur la tête,
pour une affiche de la bière Black Label, chacun imaginait le party.
Un soir, à Toronto, le concepteur Cédric Loth a accroché
une caméra devant une Buick. Il a fait rouler l’auto à 100 km/h dans la ville,
le kodak collé sur la calandre. La photo donnait l’impression que l’auto se
préparait à nous sauter dessus. Pour une rare fois, une Buick était devenue
rutilante. Nous y avons ajouté un titre : Redécouvrez l’Amérique. Même
sans titre, cette photo défonçait le panneau. Tu places le logo en bas à droite
et les machos disent wow !
Évidemment, pas de logo, pas de pub, car la pub associe
une image à un produit. La pub est l’art du pléonasme. Jamais BMW n’a eu autant de couilles dans ses pubs. Vous
voyez ? Il suffit d’écrire dans la même phrase les mots couilles et BMW
pour les voir tous les deux. Si ça se trouve, celles que vous avez vues sont
différentes que celles que j’ai vues. Un mot vaut 1000 images, en autant que nous
soyons 1000 à le lire.
Ceci dit, les mots portent parfois à confusion. Exemple,
le ciel est bleu. Il est pas bleu le ciel, il n’existe pas le ciel. Ce qui
n’existe pas n’est pas bleu. Mais vous venez tout de même de voir un ciel bleu.
Ce que j’aime de la pub radio, c’est d’entrer en studio
le matin et de passer la journée en compagnie de corsaires préparant un
abordage pour mettre la main sur une promo de Mc Croquettes. La fois suivante, assis
au même micro, une voyante fait léviter un sandwich McD Léger. Et l’autre, huit
commères qui propagent une rumeur dans la ville. Et ainsi de suite. A la radio, l’écran est plus large,
disait le cinéaste américain Orson Welles. Eh bien, le papier, c’est exactement
comme la radio. Dans une même page, une ombre capture un oiseau sur une plage
du Maine, des voiliers passent devant le château Frontenac, une BMW a des
couilles et le ciel est bleu. C’est ce que j’aime des mots. Il suffit d’en
écrire un pour allumer la télé.
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