dimanche 30 mars 2014

Le temps du siècle


Le vendeur est le film du siècle. Je soupçonne le réalisateur Sébastien Pilote d'être un peu lent parfois, de rester dans sa chaise à regarder devant lui un instant, une fois la phrase finie, comme s’il était dans la lune. Sébastien Pilote me donne l’impression de ce touriste qui, après avoir vu une toile dans un musée, reste encore un peu devant elle, alors que le groupe s’éloigne. Il n’est pas dans la lune, il est dans le temps, la denrée de ce siècle. D’ailleurs, son film aurait pu être intitulé Le temps. Le héros du film, le vendeur d’automobiles Marcel Lévesque, est le vendeur du mois de décembre au concessionnaire Dodge, à Dolbeau-Mistassini. Il incarne aussi le temps, une espèce en voie de disparition si nous ne faisons pas attention.

Une fois l’action terminée, il arrive que la caméra reste sur le personnage Marcel Lévesque. Elle le regarde regarder devant lui, comme s'il entrait lentement dans sa bulle et que nous le regardions entrer. Ce moment est très calme, d'autant qu'il est rare. Il est vrai que le rythme de nos écrans prend de plus en plus de vitesse, les clips, les nouvelles, les montages, l’impatience, la consommation, la lumière. Le vendeur nous rappele ce qu'est le temps, ce moment entre la fin de l’action et la fin du plan, le blanc entre deux dessins d'une bande dessinée. Le temps est un espace. Dans le film de Sébastien Pilote, je le sens et je le vois.

On dit que Sébastien Pilote a récidivé dans Le démantèlement. Pas sûr. Le vendeur a le ton juste, celui d'un homme souvent seul dans sa bulle, dans un village un peu isolé entre deux bouts de forêt. Une fois le camion passé, la route ne bouge plus, les arbres et la neige non plus. Le fermier qui s'apprête à démanteler sa ferme dans Le démantèlement ne parle pas la langue du cultivateur. Pas celle de ceux que j’ai connus. L’accent des fermiers que j’ai connus était gossé comme le manche de leur fourche. Leurs fermes n'existent plus, leur accent non plus. Le fermier qui démantèle sa ferme dans Le démantèlement parle comme les producteurs laitiers d’aujourd’hui, ceux qui cultivent la terre avec un tracteur et un mac. Le fermier du Démantèlement est leur père. Quand il était petit, il ramassait le foin à la fourche et jouait au docteur dans la grange. Ce n’est pas un reproche, c’est un autre temps.

Le temps nous aspire vers lui, dans un moment forcément silencieux. Quand je parle, je ne vois pas le temps passer. Quand je réfléchis, non plus. Pour le voir passer, je dois le regarder. Dans la série documentaire Liban, des guerres et des hommes, le réalisateur Frédéric Laffont nous montre souvent le temps. Un homme raconte comment sa soeur de 17 ans a explosé dans la rue, lorsqu’elle a reçu une balle explosive dans le coeur. Le temps est arrivé juste à la fin de sa phrase. L’homme regardait devant lui. Il ne voyait pas le mur de la pièce, il ramassait les morceaux de sa soeur. Le temps fait partie du processus de communication. Pas en tant qu’univers enveloppant, en tant que personnage.

C'est The Bridges of Madison County, de Clint Eastwood. Un film à trois personnages, Meryl Streep et Clint Eastwood. C’est la très belle histoire d’une séduction entre un photographe et la femme d’un fermier. Les 135 minutes du film semblent durer les quatre jours d’une histoire qui a marqué deux vies. L’impression suspendue qui demeure, comme un petit bonheur, est celle du troisième personnage, le temps.

Le temps passe vite parce que nous ne prenons pas soin de lui. Nous ne le regardons pas. Nous sommes trop pressés à occuper le plancher, à dessiner des miroirs, à nous faire croire que nous avons des amis. Pour voir le temps passer, nous devons nous tourner vers l’autre et regarder. C’est le début du verbe aimer.




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