mercredi 21 août 2013

Jean-Jacques Stréliski


J’avais prévu écrire ce mot, mais pas aujourd’hui. Un récent échange épistolaire avec Jean-Jacques a fait devancer l’échéance. Comme le dit la chose, mieux vaut battre le père quand il est chaud.

Je suis arrivé chez Cossette en 1987, en provenance de BCP, avec un an et demi de métier publicitaire dans le corps. J’avais appelé mon amie Lili Côté pour offrir mes services, elle m’a passé son boss. Le lendemain, je rencontrais Jean-Jacques. Il m’a embauché pour ce qui allait devenir mes cinq plus belles années en agence.

Ma première rencontre avec Cossette a eu lieu quelques semaines plus tard, dans le bureau de Jean-Jacques. Nous discutions à quatre d’un projet pour Bell. Deux associés, deux rédacteurs, Michel Rondeau et moi. Et là, Jean Morin, cerveau stratégique s’il en est, me demande et toi Luc, qu’est-ce que tu en penses? Je te le dis aujourd’hui, Jean, je n’en pensais rien. À ce jour, on ne m’avait jamais demandé mon avis. Chez BCP, j’avais appris à courir dans les tranchées, à éviter les balles et les flèches, un crayon entre les dents. Et tu me demandes ce que j’en pense? Les culottes baissées, je suis sorti de cette rencontre en me jurant de ne plus jamais me faire prendre. Chez BCP, j’avais appris à me débrouiller. Chez Cossette, j’allais apprendre à travailler.

Jean-Jacques m’a appris trois choses que je n’ai jamais oubliées. Ce n’est pas tant qu’il me les ait dites à moi en particulier, j’étais là quand elles ont été formulées. Exactement comme dans Albert, la pub radio de la Loterie nationale, de Richard Gotainer : la Loterie nationale, il suffit d’être en dessous quand ça tombe.

La première chose que j’ai retenue, c’est vous avez droit à l’erreur. Me faire dire cela par mon patron, dans un milieu où le temps est précieux, j’ai grandi de deux pouces. On me considère comme une personne responsable. En même temps, on me dit sans le dire, trompe-toi, mais pas trop souvent. Curieusement, quand je sais que je peux me tromper, je deviens subitement alerte et je me trompe moins.

La deuxième chose, c’est qu’écrire un texte de pub, c’est raconter une histoire. À cette époque, on parlait souvent de la grande campagne de pub Volkswagen de BBDO, dont une annonce mythique, Lemon, évoquée en ouverture de l’épisode 3 de la télésérie Mad Men. Même si ce n’est pas lui qui l’a écrite, on attribue généralement cette campagne au grand publicitaire de Madison Avenue, Bill Bernbach. Bref, j’ai fait venir d’Allemagne le livre Remember those great Volkswagen ads?, dont j’ai lu tous les textes en une fin de semaine, pour apprendre comment raconter une histoire en pub. Bien sûr, on n’écrit plus comme cela. De nos jours, la technologie occupe trop de place dans les annonces, dans ce qui est en réalité une histoire humaine sensible. Tide, ce n’est pas du savon à lessive, c’est moi ti-cul assis près de la laveuse. La Dodge Charger, c’est le retour de la voiture d’enfer des années 70, celle qui grimpait dans les poteaux. Et Apple invente l’avenir.

Le problème de Jean-Jacques, pour un rédacteur, c’est qu’il écrit lui-même très bien. Ce n’est pas vraiment son problème à lui, mais cela devient rapidement celui du rédacteur. Le jour où il m’a demandé un texte pour Bell, j’ai aiguisé mon crayon et je l’ai sué, mon texte. Et quand il m’a dit c’est ok, j’ai perdu 10 livres. Appelons cela une aura, même absent du bureau, sa présence se faisait sentir.

La troisième chose, c’est écrivez autre chose que de la pub. Écrivez des articles, un scénario, autre chose. Le jour même, mon radar s’est allumé. Très peu de temps après, Maryse Beauregard, l’assistante de Jean-Jacques, m’a offert d’écrire un article pour le Magazine G, sur le photographe Marc Drolet. 1992 a été une porte qui s’ouvre.

Ensuite, j’ai écrit une première tribune pour le magazine Info-Presse. Elle m’a valu une offre d’emploi de Bruno Boutot, rédacteur en chef. Je n’avais pas choisi la pub, je voulais devenir journaliste. J’ai dit oui. Bruno voulait que je le remplace comme rédacteur en chef. Je trouvais les souliers grands. Le bémol dans mon esprit, je n’étais pas journaliste, je ne partageais pas avec les collègues le même type de passé. J’y suis tout de même resté un an.

Jean-Jacques disait aussi que, dans une agence, l’attitude est aussi importante que le talent. Oui, toujours écouter. Quelques mots pour changer une vie.



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