J’avais prévu écrire ce mot,
mais pas aujourd’hui. Un récent échange épistolaire avec Jean-Jacques a fait devancer
l’échéance. Comme le dit la chose, mieux vaut battre le père quand il est
chaud.
Je suis arrivé chez Cossette
en 1987, en provenance de BCP, avec un an et demi de métier publicitaire dans
le corps. J’avais appelé mon amie Lili Côté pour offrir mes services, elle m’a
passé son boss. Le lendemain, je rencontrais Jean-Jacques. Il m’a embauché pour
ce qui allait devenir mes cinq plus belles années en agence.
Ma première rencontre avec
Cossette a eu lieu quelques semaines plus tard, dans le bureau de Jean-Jacques.
Nous discutions à quatre d’un projet pour Bell. Deux associés, deux rédacteurs,
Michel Rondeau et moi. Et là, Jean Morin, cerveau stratégique s’il en est, me
demande et toi Luc, qu’est-ce que tu en penses? Je te le dis aujourd’hui, Jean,
je n’en pensais rien. À ce jour, on ne m’avait jamais demandé mon avis. Chez
BCP, j’avais appris à courir dans les tranchées, à éviter les balles et les
flèches, un crayon entre les dents. Et tu me demandes ce que j’en pense? Les
culottes baissées, je suis sorti de cette rencontre en me jurant de ne plus jamais
me faire prendre. Chez BCP, j’avais appris à me débrouiller. Chez Cossette,
j’allais apprendre à travailler.
Jean-Jacques m’a appris
trois choses que je n’ai jamais oubliées. Ce n’est pas tant qu’il me les ait
dites à moi en particulier, j’étais là quand elles ont été formulées. Exactement
comme dans Albert, la pub radio de la
Loterie nationale, de Richard Gotainer : la Loterie nationale, il suffit d’être en dessous quand ça tombe.
La première chose que j’ai
retenue, c’est vous avez droit à l’erreur. Me faire dire cela par mon patron,
dans un milieu où le temps est précieux, j’ai grandi de deux pouces. On me
considère comme une personne responsable. En même temps, on me dit sans le
dire, trompe-toi, mais pas trop souvent. Curieusement, quand je sais que je
peux me tromper, je deviens subitement alerte et je me trompe moins.
La deuxième chose, c’est
qu’écrire un texte de pub, c’est raconter une histoire. À cette époque, on
parlait souvent de la grande campagne de pub Volkswagen de BBDO, dont une
annonce mythique, Lemon, évoquée en
ouverture de l’épisode 3 de la télésérie Mad
Men. Même si ce n’est pas lui qui l’a écrite, on attribue généralement
cette campagne au grand publicitaire de Madison Avenue, Bill Bernbach. Bref, j’ai
fait venir d’Allemagne le livre Remember
those great Volkswagen ads?, dont j’ai lu tous les textes en une fin de
semaine, pour apprendre comment raconter une histoire en pub. Bien sûr, on
n’écrit plus comme cela. De nos jours, la technologie occupe trop de place dans
les annonces, dans ce qui est en réalité une histoire humaine sensible. Tide, ce n’est pas du savon à lessive,
c’est moi ti-cul assis près de la laveuse. La Dodge Charger, c’est le retour de
la voiture d’enfer des années 70, celle qui grimpait dans les poteaux. Et Apple
invente l’avenir.
Le problème de Jean-Jacques,
pour un rédacteur, c’est qu’il écrit lui-même très bien. Ce n’est pas vraiment son
problème à lui, mais cela devient rapidement celui du rédacteur. Le jour où il
m’a demandé un texte pour Bell, j’ai aiguisé mon crayon et je l’ai sué, mon
texte. Et quand il m’a dit c’est ok, j’ai perdu 10 livres. Appelons cela une
aura, même absent du bureau, sa présence se faisait sentir.
La troisième chose, c’est
écrivez autre chose que de la pub. Écrivez des articles, un scénario, autre
chose. Le jour même, mon radar s’est allumé. Très peu de temps après, Maryse
Beauregard, l’assistante de Jean-Jacques, m’a offert d’écrire un article pour
le Magazine G, sur le photographe Marc Drolet. 1992 a été une porte qui s’ouvre.
Ensuite, j’ai écrit une
première tribune pour le magazine Info-Presse. Elle m’a valu une offre d’emploi
de Bruno Boutot, rédacteur en chef. Je n’avais pas choisi la pub, je voulais
devenir journaliste. J’ai dit oui. Bruno voulait que je le remplace comme
rédacteur en chef. Je trouvais les souliers grands. Le bémol dans mon esprit,
je n’étais pas journaliste, je ne partageais pas avec les collègues le même
type de passé. J’y suis tout de même resté un an.
Jean-Jacques disait aussi
que, dans une agence, l’attitude est aussi importante que le talent. Oui,
toujours écouter. Quelques mots pour changer une vie.
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