mardi 20 août 2013

Félix


Félix Leclerc, c’est un pléonasme. Chez nous, Félix, c’est Leclerc, le plus grand de nos poètes. Un poète lie les mots comme un choc de banquises. C’est Richard Desjardins, je suis l’océan qui veut toucher ton pied. Je lis ça, j’entends les banquises. Le poète écrit des mots qui ne peuvent plus devenir plus grands.

Celui qui nous quitte fait partie de la courte liste des libérateurs de peuples, l'Histoire l'écrira. Ces mots sont ceux de Félix, à la mort de René Lévesque. Je les connaissais mais, en les entendant, cet été, dans une série documentaire sur la vie du journaliste et homme politique, il s’est passé quelque chose.

Je ne connais pas beaucoup de gens qui se sont fait traiter de libérateurs de peuple. Ils sont tous loin d’ici. Simón Bolivar, Gandhi, Gamal Abdel Nasser. Ils ont dit aux Espagnols, aux Anglais et aux Français de rentrer chez eux et ils ont tenu parole. Ces gens ont trouvé les gestes et les mots. Ils ont rassemblé des millions de gens autour d’une même émotion, le pays.

L’émotion créée par les mots est la laine du tricot. C’est elle qui nous tient serrés. Je ne sache pas qu’il y ait eu l’équivalent d’un Félix chez nos voisins anglophones, ni d’un René Lévesque, encore moins les mots de l’un à l’autre. Au Canada, même le premier ministre Lester B. Pearson, prix Nobel de la paix 1957, n’a pas reçu de tels mots. Pour la simple raison que le Canada n’est pas tricoté serré. Le Canada est un pays slack, dont on a voulu que la laine soit un chemin de fer. Le seul moment où ses habitants ont été unis, c’est lors de la Série du siècle, le hockey Canada-Russie, en 1972. Cela ne fait pas un tricot fort fort. Le Canada est une habitude.

La seule vraie misère ici bas, c'est de ne pas avoir de pays, dit Félix. Toutes les guerres sont faites pour voler celui qu'on n'a pas et garder celui qu'on a. Nous ne sommes pas en guerre, mais presque. Un train vient d’exploser dans la courbe du village, la laine s’est serrée autour d’une grande émotion.

Le pays s’est fait abuser par la cupidité d’un voisin venu du sud. Ce n’est pas parce qu’il parlait anglais. Sa langue est celle de la bêtise, il n’a même pas l’air de s’en rendre compte. Sa cupidité, accompagnée de la bêtise de fonctionnaires, son train a explosé et nous a tués un petit peu. René Lévesque est arrivé, il a dit ne cherchez plus, celui qu'on a sous les pieds sera le nôtre, dit Félix. Ni à vendre, ni à prêter, ni à piller, respectant toutes les langues du monde dont la sienne.

Un premier ministre est venu d’Ottawa constater ce qui avait déraillé. Le même qui est allé un jour reconduire son fils à l’école et lui a serré la main. Il est venu chez nous, il a serré la main de la mairesse, alors que la première ministre du Québec l’avait déjà serrée dans ses bras. Le rail et la laine. Le monsieur d’Ottawa n’a pas berné grand monde, ce sont ses amis du pétrole qui ont commis le crime. Ces messieurs ne se feront pas taper fort fort sur les doigts.

Cet été, aux États-Unis, suite aux manifestations monstres contre l’acquittement de George Zimmerman, accusé du meurtre du jeune Noir Trayvon Martin, le président américain Obama a dit qu’il aurait pu être ce jeune noir, il y a 35 ans. Il est rare d’entendre des propos aussi sensibles, surtout de la part de la présidence américaine. Chez nous, les émotions viennent de la terre.

Vendu le prélart, cassé mon bail, rendu déhors, chien pas de médaille. Je ne sais pas comment on fait pour écrire comme ça.

Et maintenant, c'est un fait, après trois siècles, on a un pays, le Québec, planté dans le coeur à jamais. C’est ici que quelque chose a changé. Félix nous le dit, ce sont les mots qui créent un pays.




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