Félix Leclerc, c’est un
pléonasme. Chez nous, Félix, c’est Leclerc, le plus grand de nos poètes. Un
poète lie les mots comme un choc de banquises. C’est Richard Desjardins, je suis l’océan qui veut toucher ton pied.
Je lis ça, j’entends les banquises. Le poète écrit des mots qui ne peuvent plus
devenir plus grands.
Celui qui nous quitte fait partie de la courte liste des
libérateurs de peuples, l'Histoire l'écrira. Ces mots sont ceux de Félix, à la
mort de René Lévesque. Je les connaissais mais, en les entendant, cet été, dans
une série documentaire sur la vie du journaliste et homme politique, il s’est
passé quelque chose.
Je ne connais pas beaucoup de gens
qui se sont fait traiter de libérateurs de peuple. Ils sont tous loin d’ici.
Simón Bolivar, Gandhi, Gamal Abdel Nasser. Ils ont dit aux Espagnols,
aux Anglais et aux Français de rentrer chez eux et ils ont tenu parole. Ces
gens ont trouvé les gestes et les mots. Ils ont rassemblé des millions de gens
autour d’une même émotion, le pays.
L’émotion créée par les mots est
la laine du tricot. C’est elle qui nous tient serrés. Je ne sache pas qu’il y
ait eu l’équivalent d’un Félix chez nos voisins anglophones, ni d’un René Lévesque,
encore moins les mots de l’un à l’autre. Au Canada, même le premier ministre
Lester B. Pearson, prix Nobel de la paix 1957, n’a pas reçu de tels mots. Pour
la simple raison que le Canada n’est pas tricoté serré. Le Canada est un pays slack, dont on a voulu que la laine soit
un chemin de fer. Le seul moment où ses habitants ont été unis, c’est lors de
la Série du siècle, le hockey Canada-Russie, en 1972. Cela ne fait pas un
tricot fort fort. Le Canada est une habitude.
La seule vraie misère ici bas, c'est de ne pas avoir de
pays, dit Félix. Toutes les guerres sont faites pour voler
celui qu'on n'a pas et garder celui qu'on a. Nous ne sommes pas en guerre,
mais presque. Un train vient d’exploser dans la courbe du village, la laine
s’est serrée autour d’une grande émotion.
Le pays s’est fait abuser par la
cupidité d’un voisin venu du sud. Ce n’est pas parce qu’il parlait anglais. Sa
langue est celle de la bêtise, il n’a même pas l’air de s’en rendre compte. Sa
cupidité, accompagnée de la bêtise de fonctionnaires, son train a explosé et
nous a tués un petit peu. René Lévesque
est arrivé, il a dit ne cherchez plus, celui qu'on a sous les pieds sera le
nôtre, dit Félix. Ni à vendre, ni à
prêter, ni à piller, respectant toutes les langues du monde dont la sienne.
Un premier ministre est venu
d’Ottawa constater ce qui avait déraillé. Le même qui est allé un jour reconduire
son fils à l’école et lui a serré la main. Il est venu chez nous, il a serré la
main de la mairesse, alors que la première ministre du Québec l’avait déjà
serrée dans ses bras. Le rail et la laine. Le monsieur d’Ottawa n’a pas berné
grand monde, ce sont ses amis du pétrole qui ont commis le crime. Ces messieurs
ne se feront pas taper fort fort sur les doigts.
Cet été, aux États-Unis, suite aux
manifestations monstres contre l’acquittement de George Zimmerman, accusé du
meurtre du jeune Noir Trayvon
Martin, le président américain Obama a dit qu’il aurait pu être ce jeune noir,
il y a 35 ans. Il est rare d’entendre des propos aussi sensibles, surtout de la
part de la présidence américaine. Chez nous, les émotions viennent de la terre.
Vendu le prélart, cassé mon bail, rendu déhors, chien pas de médaille. Je ne sais pas comment on fait pour écrire comme ça.
Et maintenant, c'est un fait, après trois siècles, on a
un pays, le Québec, planté dans le coeur à jamais. C’est ici que quelque chose a changé.
Félix nous le dit, ce sont les mots qui créent un pays.
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