jeudi 30 janvier 2025

Nouveaux repères

 

Par les temps qui courent, beaucoup d’amis disent avoir perdu leurs repères.


Lors du lancement de son film Testament, le cinéaste Denys Arcand a allumé ma mèche. J’ai perdu mes repères, a-t-il dit.


Le film raconte l’histoire d’un homme qui a perdu ses vous savez quoi.


En passant, ce sont tous des gars.


Je suggère que nous sommes en train de les trouver.


Perdre des repères dure une fraction de seconde. Se ressaisir est un peu plus long.


Toute notre vie, nous avons grandi dans une mentalité occidentale qui imposait ses repères au reste du monde.


Aujourd’hui, ces repères éclatent comme un plancher de verre. Nous sommes aspirés dans le vide.


Maintenant, il faut recoller les morceaux. Nous les trouverons un à un pour donner une nouvelle cohérence à tout ça.


Les morceaux se trouvent partout autour de nous. Il faut de la concentration, à cause du brouillard.


Deux jours après la prestation de serment de l’agent orange, l’évêque Mariann Budde, du diocèse épiscopal de Washington, lui a rappelé l’indulgence pour les minorités ciblées. Les yeux de l’autre roulaient dans le beurre.


Voilà un morceau.


À la radio, un commentateur suggère que beaucoup d’Américains réagiront mal, lorsque l’immigrant expulsé sera leur voisin bien-aimé. Et de deux.


J’ai coupé tout lien avec Facebook, à cause de l’odeur. Et de trois.


J’évite les textes sur l’agent orange ou le demeuré au salut nazi. Vive la lecture rapide. On avance.


Créer des repères est un acte de résistance.


Dans les prochains mois, écrit la journaliste Laura-Julie Perreault, dans La Presse du 25 janvier, ceux qui ont porté Donald Trump au pouvoir deviendront les principaux opposants aux mesures draconiennes en immigration que le nouveau président vient tout juste d’adopter.


Une autre bonne nouvelle.


Dans le même journal, le même matin. Le milliardaire américain Michael Bloomberg s’est engagé à compenser, à la place du gouvernement fédéral, toute contribution américaine impayée à l’ONU climat, écrit l’Agence France-Presse.


Trouver, c’est mieux que chercher.


Tous ces morceaux forment déjà la base d’un nouveau jour va se lever.


Nous ne sommes pas à Berlin, en 1945. Les bombes explosent dans nos têtes seulement. Les infrastructures demeurent.


C’est la conquête des esprits. C’était le titre d'un livre d’Yves Eudes, à propos du système d’exportation culturelle américaine vers les pays pauvres.


Ce type de guerre est connu. Comme une tactique des cerveaux brûlés.


Patience. Tout passe.


Demain, ça fera un jour de moins.






vendredi 17 janvier 2025

Matimekush

 

Des enseignants africains enseignent à Matimekush.


Matimekush est situé en territoire autochtone. C’est au nord de Schefferville, hors du Québec des Blancs.


Les Blancs, descendants des Français, aiment bien dire que cette région fait partie de leur Québec. En fait, la vaste majorité ne rêve jamais de passer une fin de semaine là-bas. Elle n’a aucune idée à quoi Matimekush ressemble et comment ça pense.


J’ai appris son existence dans le documentaire Matimekush de Guillaume Sylvestre, diffusé à Télé-Québec, il y a 5 jours.


Les enseignants sont des descendants de communautés multi millénaires d’Afrique du Nord, de l’Ouest et du Maghreb.


Les résidants de Matimekush sont des descendants multi millénaires de la communauté Innu.


La mayonnaise a multi pogné. Beaucoup à cause de leurs passés.


Un passé multi millénaire sur un territoire, et un de colonisé, sur le même territoire. Un même colonisateur et la même langue, le français.


Ce sont tous des diplômés.


Conrad André enseigne la culture Innue. Il est diplômé de la tradition orale multi millénaire.


Conrad s’exprime dans les cultures Innu et québécoise française.


Judeleine, Kalhid, Yendouban, Mohamed, s’expriment chacun chacune dans deux, trois, quatre cultures. Haïtienne, marocaine, sénégalaise, québécoise, française et peut-être d’autres. Ils causent justice, communauté, transmission, valeurs, amour, famille.


Assis dans mon salon, je les découvre avec ma culture unique. Sur ce point, je suis au même niveau que François Legault, premier ministre du Québec.


Ces enseignants sont tous plus riches que nous de quelques cultures. Et une histoire commune avec le peuple Innu. Les chanceux.


Du haut de sa culture unique, François Legault demande à ces immigrants de s’intégrer à notre culture et de ne pas prier dans la rue.


C’est fort de café turc. Si le Québec est un pays en mouvement, c’est grâce aux immigrants et à leurs bagages de cultures.


Un enseignant prie dans le bois. Il est entouré d’épinettes, le corps tourné vers la Mecque. L’humilité dans la beauté.


François Legault n’aime pas les Premières Nations. Son entendement est dépassé en leur présence. Il ne comprend pas que nous nous sommes intégrés à leur culture.


En 1680, dit Serge Bouchard, l’anthropologue dont je m’ennuie, 85 % des Français qui débarquaient ici prenaient le bois.


Ils ont appris la langue, marié les femmes et marché l’Amérique. Vous n’entendrez pas François Legault se vanter que les premiers découvreurs du continent étaient Français, guidés par les autochtones.


L’entendement est une curieuse chose. Intelligible, immatérielle.


Les Innus ne demandent pas aux Africains de ne pas prier dans la rue.


Pour la Mecque, suivez le vent par les épinettes.






dimanche 12 janvier 2025

Rien de neuf en Haïti (bis)


(Texte publié dans ce blogue, le 10 juillet 2010)


Je rentre d’une mission en Haïti, pour le compte d’Oxfam-Québec.


Je suis allé faire une analyse en communications.


J’ai donc passé beaucoup de temps avec des gens d’ONG, à comprendre ce que veulent dire les mots urgence humanitaire.


La réponse est très simple. L’action humanitaire est une affaire du quotidien, elle consiste à poser des gestes un à un. Elle donne de l’eau à un million de personnes déplacées qui vivent maintenant dans des tentes.


Elle bâtit aussi des latrines et des douches, pour permettre à ces gens un minimum d’hygiène en privé. Enfin, elle enseigne à ces gens comment se laver les mains et pourquoi se laver les mains.


Se laver les mains après être passé à la toilette, pour éviter la propagation de microbes. Déféquer aux toilettes plutôt qu’à côté d’un arbre fruitier, pour la même raison.


Nettoyer les latrines pour éloigner les mouches. Et ainsi de suite, avec des milliers de personnes.


Ce n’est pas que ces gens soient sales. Ils se lavent les mains, mais pas assez bien.


Ils peuvent faire mieux.


Aussi, une fois les cours d’hygiène dispensés, une équipe de suivi s’assure que le tout a bien été intégré et compris. Ils répondent à toutes les questions et à tous les appels, 24 heures par jour, 7 jours par semaine.


C’est ça, l’humanitaire. Enseigner un à un des gestes.


Exactement comme dans le film 2001: l’odyssée de l’espace, du réalisateur américain Stanley Kubrick.


L’homme manipule un os et se rend compte que cet os peut aussi servir à fracasser un crâne. Ce film nous fait vivre un grand moment dans la vie de l’humanité.


En faisant de l’os une arme, le cerveau humain a inventé le symbole.


Il montre aussi que nous apprenons les gestes un à un.


Je l’ai bien vu, avec mes trois enfants, les mots, les gestes aussi, comment tenir la cuiller, oups, pas avec les mains, avec la cuiller, à la bouche, pas dans les oreilles, dans la bouche la cuiller, et ainsi de suite.


En Haïti, des hommes et des femmes sont en train d’apprendre des gestes qui vont faire d’eux d’autres personnes.


L’Haïtien qui sort de la tente le matin est propre et bien habillé.


Cette phrase vient d’un coopérant volontaire, alors que nous passions devant un site de déplacés.


L’Haïtien est fier. Il est pauvre, mais digne.


Il est comme nous et parfois un petit peu mieux que nous. Est-il possible de tout perdre quand on n’a rien? Oui, c’est arrivé il y a six mois en Haïti. Mais l’Haïtien n’est pas un mendiant. Il ne se laisse pas impressionner.


Impression générale, bien sûr. Nous avons nos deux de pique, eux aussi.


Le 12 juillet, le séisme aura six mois. Les médias du monde entier vont débarquer. Ils voudront filmer les sites, les tentes. Plusieurs caméras, pas toutes heureusement, rechercheront des histoires juteuses.


Comme ce gars du réseau TVA, qui courait les cadavres et les camions de vidanges. Il n’aura pas à courir loin cette fois. Il n’aura qu’à regarder dans les décombres, il y a plein de cadavres encore, ça devrait faire de belles images.


Les images vont ressembler à celles qu’on voit depuis un bon bout de temps. Des tentes et des tentes sans arrêt avec des gens dedans. Les caméras vont filmer et pourront dire que ça n’avance pas vite en Haïti.


Les caméras ne verront pas que certains Haïtiens ont les mains plus propres, que le nombre de diarrhées est tombé à zéro à certains endroits et que les bactéries sont en train de manger une volée.


Les caméras ne verront pas les petites victoires, celles qui se gagnent une à une, comme les gestes. Elles ne verront pas que la reconstruction commence par l’intérieur. C’est ça l’humanitaire.


Et voici le scoop: la reconstruction est commencée, elle est invisible aux caméras.


Lorsque je suis allé visiter le site Delmas 75 Opposit Church, je n’ai pas voulu entrer.


Ces tentes ne sont pas un camping, encore moins un zoo. Ce sont les résidences de gens fiers.


Je n’ai pas pris de photos non plus. Montrer quoi? Des édifices écroulés qu’on a vus et revus?


Avez-vous déjà vu les pyramides d’Égypte? Elles sont plus immenses que ce vous puissiez imaginer. Les dégâts en Haïti, c’est la même chose. Ce que vous avez vu à la télé, en plus immense, et partout.


Le Palais national est une baleine échouée, il ne peut entrer dans une caméra.


Je n’ai pas pu rapporter ce que j’aurais voulu montrer. Un film de 10 minutes montrant une équipe de théâtre faisant revivre le séisme. Les comédiens sont des gens ordinaires, ils jouent le rôle qu’ils ont vécu.


Un film sur Haïti qui se relève, qui cherche à passer à autre chose.


Enfin, une image positive, d’une beauté et d’une intelligence qui font du bien. Ce film ne sera pas présenté le 12. Il n’est pas terminé.


Comme l’histoire des Haïtiens n’est pas terminée.


La suite le 12 janvier 2011.


Le séisme aura un an, et des milliers et des milliers de gestes de gagnés, trop petits pour les caméras.



mercredi 1 janvier 2025

Kent Nagano

 

J’aime Kent Nagano. Kent Nagano, l’homme.


Je ne connais pas assez la musique pour commenter le maestro.


Un homme qui cause intelligent, avec une voix douce, attire.


J’ai assisté à un concert de Noël de l’OSM, à la basilique Notre-Dame, le 5 décembre.


Je me suis assis au fond de l’église, dans le jubé, à droite, à la hauteur du choeur.


Je suis au-dessus de l’orchestre. Je vois tous les gestes des musiciens, les mimiques de Kent Nagano.


Un gamin dans un gamasin de bonbons.


Au parterre, les places les plus prisées, on ne voit rien de tout cela.


Du jubé, les places les moins prisées, à la hauteur du choeur, on voit tout.


Nous sommes seuls dans la section. À deux, avec nos manteaux, nous occupons six places. Le grand luxe.


Kent Nagano est tout mince.


Il mange de la salade, dit le conteur Fred Pellerin.


Avant le concert, il cause avec un trompettiste puis, un violoncelliste.


Selon ma lecture, un échange du genre et les enfants, ça va?


Il lèverait les yeux, il me verrait le regarder.


J’aurais été assis au parterre, j’aurais raté tout cela.


Entre l’orchestre et le parterre, une distance protocolaire sépare Dieu de l’élite.


Le jubé du choeur se trouve au-dessus de l’intimité de l’orchestre.


En 2018, Kent Nagano est allé jouer avec l’OSM, dans le Grand nord.


Une rencontre entre migrants et immigrants.


C’était le voyage d’une vie, dit le violon solo Andrew Wan.


Le migrant arrive toujours à pied et sans valise.


Lorsque les migrants ont quitté l’Afrique, ils se seraient déplacés d’un kilomètre par année. 40 000 ans pour faire le tour de la Terre.


Les Inuit sont arrivés de Sibérie. Ils ont traversé à pied le Détroit de Béring glacé. Sur une carte du Canada, c’est en haut, à gauche.


Il y a 1000 ans, ils se sont déplacés vers l’est. En haut, au milieu de la glace. Le Nord du Québec.


Mille ans plus tard, Kent Nagano et les musiciens de l’OSM sont arrivés du sud.


L’immigrant arrive toujours à bord de quelque chose. Une auto, un camion, un bateau, un avion.


Kent Nagano apportait dans sa valise sa baguette du chef et au moins trois cultures. Des origines japonaises, une vie aux États-Unis et autour du monde, et une vie au Québec.


Kuujjuaq, Salliut et Kuujjuarapik. L’itinéraire de l’OSM, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre.


Les Inuit l’ont reconnu. Les traits. Un passé en commun.


Comme deux gouttes de glace.


Les traits trahissent les origines. Celles que l’immigrant aimerait parfois masquer.


Notre premier réflexe est de lui dire de prendre son trou, de s’assimiler, de devenir comme nous. Se confondre dans le paysage.


Du haut de notre culture unique.


J’ai oublié mon immigration, il y a plus de 300 ans.


L’immigrant apporte toujours quelque chose dans ses bagages.


Un morceau de notre histoire.