mardi 16 septembre 2025

René Homier-Roy

 

René-Homier Roy débutait son émission de radio comme on entre dans l’écoute de la phrase d’un autre. C’est bien meilleur le matin, 5 h 30, à la radio de Radio-Canada.


Pas de bonjour, pas de salutation. Une phrase du genre hier, il m’est arrivé une chose assez curieuse. Comme si je m’assoyais au comptoir du resto, café en main, et que la conversation du voisin devenait un peu la mienne.


Et là, l’émission démarrait. Elle a été bien meilleure le matin pendant quinze années.


Elle prenait fin avec un rendez-vous le lendemain, aux aurores.


Au début des années 2000, mon ami réalisateur Jérôme Labrecque et moi recevons le mandat de préparer une promotion télé de trente secondes pour l’émission.


Je suis réalisateur à l’autopromo, la promotion d’émissions de Radio-Canada et RDI. Jérôme est réalisateur tout court. Il réalisera la chose.


Le tournage a lieu de nuit, dans le stationnement extérieur de la tour de Radio-Canada. Le cinéaste Jean-Claude Labrecque, père de Jérôme, assiste au tournage. Il veut connaître mieux la technologie numérique.


Louise Carrière, réalisatrice de l’émission, « La dame de fer », selon René Homier-Roy, est là.


Lors d’un tournage, le ton des conversations est généralement feutré. Le tournage impose le silence. La nuit noire et la fraîcheur dans le dos ajoutent à l’intimité.


Lorsque le cinéaste Jean-Claude Labrecque cause cinéma avec le cinéphile René Homier-Roy, j’écoute.


Lorsque l’animateur René Homier-Roy cause radio avec la réalisatrice Louise Carrière, j’écoute.


Le nom Pierre revient dans la conversation. Je comprends que le conjoint de René Homier-Roy ne s’appelle pas Geneviève, mais Pierre. Je l’apprends comme une confidence, sur le ton de « passe-moi le beurre ».


Je suis dans la conversation du voisin de table.


Mon affection professionnelle devient personnelle. À cause du ton et de la simplicité. Ben oui, il n’y a rien là.


René Homier-Roy dira plus tard, dans une entrevue, qu’il n’a jamais eu à sortir du placard, puisqu’il n’y a jamais été.


J’ai mieux compris le portrait général après le départ de René Homier-Roy de l’émission. Il a parlé du décès de son conjoint, comme toute personne aurait parlé du sien. Pas de fla fla, pas de garde-robe. Que de la peine. La peine d’amour n’a pas de sexe.


Il est difficile de décrire la normalité, le sentiment de paix, le ton simple.


On pourrait dire qu’il n’y a rien, alors que tout est là.


J’ai pensé plus tard lui écrire pour rappeler l’anecdote.


Je ne l’ai pas fait.


Il n’y avait rien à dire.




samedi 6 septembre 2025

Nos peuples fondateurs

 

Nous venons d’assister à une rencontre entre nos peuples fondateurs.


Ils sont au nombre de douze.


À tous seigneurs, tous honneurs, les onze Premières nations.


Abénakis, Anichinabés, Atikamekw, Eeyou, Wendat, Innus, Inuit, Wolastoqiyik, Mi’gmaq, Kanien’keha:ka, Naskapis.


En texte sous-titré: Peuple du matin, Être humain, Poisson blanc, La terre du peuple, Habitant de l’île, Humain, Humain, Peuple de la belle rivière, Les gens, Peuple de la lumière, Humain.


On ne peut reprocher aux Premières Nations certaines parentés dans leurs dénominations. Après tout, ils ont partagé des dizaines de millénaires sur la Terre Mère.


Ce qui me frappe chez elles, c’est la cohérence des récits. Autochtones des Amériques, d’Asie ou d’Océanie, le relation au territoire est fondamentale. Des histoires tissées serré.


Ce doit être le vent.


La première rencontre fondatrice de nos peuples fondateurs a eu lieu en 1603, lors d’une tabagie. De l’algonquin (Anichinabés, Être humain) tabagia « festin », avec influence de tabac. (merci Usito).


Cela s’est passé à la Pointe des bécasseaux. Teshtapishish-Kaneiat, en Innu moderne.


Cette pointe, aussi appelée Pointe-aux-Alouettes ou Pointe Saint-Mathieu, est située à Baie-Sainte-Catherine, au haut de la côte. Si vous passez tout droit, vous descendez la côte et atterrissez directement dans le traversier vers Tadoussac.


Vu de la terrasse de l’Hôtel Tadoussac, de l’autre côté du fjord, c’est la deuxième pointe, sur votre droite.


Vous demandez la permission au propriétaire de marcher la pointe. Sur le chemin, vous croisez des arbres et le temps. Ce sont les gardiens de l’histoire.


Une rencontre de famille ici doit être assez agréable. Le tambour résonne dans le vent et dans les feuilles. Il sent le feu de camp et parle douze langues.


Au bout de la pointe, une plaque sur un kiosque commémore la tabagie.


Le chef Innu Anadabijou rencontre Samuel de Champlain, le 27 mai. Il y a plus de mille autochtones sur le site. Les deux chefs s’entendent sur une entente. C’est la Grande alliance de 1603.


Et les crapauds chantent la liberté.


En réalité, Samuel de Champlain accompagnait son patron, François Gravé du Pont, émissaire du roi Henri IV.


Pour la première fois depuis 1534, l’européen avait l’intention d’établir une relation durable avec son hôte autochtone. Voilà pourquoi plusieurs historiens fixent la date de fondation du pays au 27 mai 1603.


C’est à se demander si Jacques Cartier a gardé un souvenir de son voyage de 1534. Lorsqu’on s’adressait à lui, lit-on, il regardait ailleurs. Il cherchait l’or.


Partout ailleurs sur les deux continents, les rencontres avec les européens ont mal tourné. Il fallait éliminer l’autochtone.


Chez nous, cette tabagie marque la naissance d’une entente à l’amiable. Un cas unique dans les deux Amériques.


L’entente a mal viré après 1760. Doctrine de la découverte, vols de terres, mensonges, réserves, pensionnats, enlèvements d’enfants. Cela a duré plus de deux cents ans.


La réconciliation a commencé à virer dans le bon sens, au début du siècle.


Jusqu’à une deuxième rencontre, à l’été 2025, à Québec.


Les onze Premières Nations, guidées par l’Innu Mathieu McKenzie, rencontrent Serge Fiori, un musicien parmi tant d’autres.


Une idée de la productrice Mélanie Vincent, de la nation Huron-Wendat.


Si vous passez à l’Hotel-Musée Premières nations, à Wendake, Habitant de l’île, demandez une chambre donnant sur la rivière Akiawenrahk’, à l’arrière.


Cette rivière transporte les nouvelles des forêts vers le fleuve. Plus vous ouvrez la porte patio, plus le volume augmente. J’ai écouté les nouvelles toute la nuit.


Les mots autochtones de Mélanie Vincent, Ghislain Picard, Florent Vollant, Joséphine Bacon, Michèle Audet, Michel Jean, Natasha Canapé Fontaine, sonnent toujours comme une bienvenue. C’est la voix des onze nations.


Serge Fiori a sauté sur l’invitation. Enfin, dit-il. Onze nations pour une chanson.


Ils chantent On a mis quelqu’un au monde, en douze langues.


Le tambour donne le rythme du coeur.


Pour une première fois, je comprends les langues autochtones. C’est fou ce qu’on entend quand on écoute.


Où est allé tout ce monde?


J’apprends notre langue et je marche en paix.


Nous sommes heureux encore une fois d’avoir la chance de partager un chant.


Nous voulons utiliser notre musique pour être remarqués.


Les enseignements sont une bénédiction que nous partageons avec vous.


Ça fait sûrement longtemps que la lune a vu notre Terre Mère nous donner notre langue.


Nous sommes le rêve vivant de nos ancêtres.


On devrait peut-être l’écouter.


Cette rencontre est un retour aux sources. Une autre invitation de nos hôtes.


Dans quelques années, on dira que le tambour résonnait dans le vent et dans les feuilles. Il sentait le feu de camp et parlait douze langues.


Sans oublier la voix des crapauds.


Nos peuples fondateurs chantent le pays.


Il reste un nom à trouver.


Un nom à douze.





samedi 23 août 2025

Le génie de la grotte

 

La grotte de Chauvet, en France, est la plus ancienne grotte d’art pariétal de l’humanité. 35 000 ans.


Des artistes ont gravé et peint des silhouettes de lionnes, de lions, de hiboux, rhinocéros, chevaux, rennes, mammouths laineux, d’aurochs et de bouquetins.


Grâce à un artiste Cro-Magnon, j’ai d’appris à quoi ressemblent un auroch et un bouquetin. Une phrase de trente cinq millénaires.


Cro-Magnon ou premiers Homo sapiens sapiens.


On compte environ trois cent cinquante grottes ornées dans le monde. Plus de la moitié se trouvent en France (merci Wiki).


Le temps n’a pas de prise sur l’humanité.


L’artiste a ajouté quelques humains, pas beaucoup. Et des centaines de mains en renversé.


Il est difficile de trouver plus belle expression humaine sur la planète.


Mes premières images montraient des animaux à la chasse.


Il y a trois cent cinquante siècles, un bison comptait quatre pattes. Les lions n’avaient pas de crinière et les lionnes chassaient le bison.


Plus tard, j’ai vu le documentaire Quand homo sapiens faisait son cinéma, co-réalisé par l’archéologue français Marc Azéma.


Une leçon de lecture de l’art pariétal.


La présentation débute par un bison à huit pattes.


Quatre pattes du début d’un mouvement et quatre de la fin du même mouvement. Il a beau être fixé sur la roche, le bison bouge.


L’artiste reproduit deux temps d’un mouvement. Le lecteur crée la séquence. S’il entend le son des sabots dans sa tête, nous voilà au cinéma muet avec son.


L’imaginaire est l’ancêtre de la technologie.


Dans un ordi, l’effet animé est saisissant. Des scènes de rut aux scènes de chasse.


Si j’avais huit pattes, je bougerais aussi.


L’image a précédé l’écrit de trente mille ans. Ça s’est passé il y a cinq mille ans, dans la ville d’Uruk, en Mésopotamie (Irak). L’écriture cunéiforme.


Il y a Marc Azéma le chercheur. Il observe sur le terrain. Il discute, lit, photographie.


Une observation peut prendre vingt ans avant de devenir une hypothèse. C’est court, vingt ans. Il y en a 1750 dans 35 000.


Observer, c’est organiser une nouvelle lecture.


La roche est l’ancêtre du papier.


Il y a Marc Azéma le communicateur. À la suite du documentaire, il écrit La préhistoire du cinéma, la version imprimée du film. J’y suis tombé comme dans une grotte.


Marc Azéma se donne les moyens de sortir l’art pariétal des grottes pour le diffuser dans nos écoles et nos salons.


Le documentaire et le livre donnent la parole à Iegor Reznikoff, anthropologue sonore. Il s’est posé une question: Y a-t-il une corrélation entre les emplacements des peintures dans la grotte et la qualité sonore?


La réponse est oui. Les endroits de la grotte contenant le plus de dessins sont aussi les plus intéressants du point de vue acoustique, dit-il.


La dessin à plat passe à la bande dessinée, au film muet 3D avec musique a capella, et presqu’au ciné-parc. Mais il y a plus.


On entre dans une grotte comme dans la tête de l’artiste. Sur les parois, des scènes quotidiennes de chasse, de spiritualité et d’humanités.


Une harde de lionnes poursuit un rhinocéros. La chasse occupe une bande dessinée sur deux panneaux. Le crâne offre plus d’espace qu’une grotte.


Dans cette scène, la quinzaine de corps d’animaux ne compte en tout que deux paires de pattes. Cela suffit pour créer l’illusion.


Lorsqu’il présente un tour, l’illusionniste Luc Langevin dit que l’imagination du public complète le geste amorcé par lui.


Le petit garçon est tout excité par ces histoires, alors que la lumière faiblit avant le spectacle.


L’hommage à Rosa Luxemburg, du peintre Jean-Paul Riopelle, mesure quarante mètres. C’est un peu notre grotte de Chauvet, au Musée national des beaux-arts du Québec.


Des oeuvres aussi parfaites ne peuvent avoir été réalisées en une seule fois. Il doit y avoir des grottes brouillons ailleurs.


Cela laisse à penser que de plus anciennes restent à découvrir.


Les pyramides à étages de Saqqarah, en Égypte, sont les premières au monde. Aujourd’hui, elles s’affaissent sous leur poids.


Elles ont probablement servi d’exemple pour la construction des pyramides de Gizeh. Deux millions de blocs pour atteindre la perfection.


Il devrait en être de même pour l’art pariétal.


C’était il y a 35 000 ans.


La séquence du film lance l’histoire.


Le public l’enrichit en se disant quelle belle soirée.


Et maintenant, allons dormir.