Rien de neuf en Haïti.
10.07.10
Je rentre
d’une mission en Haïti, pour le compte d’Oxfam-Québec.
Je suis allé
faire une analyse en communications. J’ai donc passé beaucoup de temps avec des
gens d’ONG, à comprendre ce que veulent dire les mots urgence humanitaire. La
réponse est très simple. L’action humanitaire est une affaire du quotidien,
elle consiste à poser des gestes un à un. Elle donne de l’eau à un million de
personnes déplacées qui vivent maintenant dans des tentes. Elle bâtit aussi des
latrines et des douches, pour permettre à ces gens un minimum d’hygiène en
privé. Enfin, elle enseigne à ces gens comment se laver les mains et pourquoi
se laver les mains. Se laver les mains après être passé à la toilette, pour
éviter la propagation de microbes. Déféquer aux toilettes plutôt qu’à côté d’un
arbre fruitier, pour la même raison. Nettoyer les latrines pour éloigner les
mouches. Et ainsi de suite, avec des milliers de personnes.
Ce n’est pas
que ces gens soient sales. Ils se lavent les mains, mais pas assez bien. Ils
peuvent faire mieux. Aussi, une fois les cours d’hygiène dispensés, une équipe
de suivi s’assure que le tout a bien été intégré et compris. Ils répondent à
toutes les questions et à tous les appels, 24 heures par jour, 7 jours par
semaine.
C’est ça,
l’humanitaire. Enseigner un à un des gestes. Exactement comme dans le film 2001: l’odyssée de l’espace, du réalisateur
américain Stanley Kubrick. L’homme manipule un os et se rend compte que cet os
peut aussi servir à fracasser un crâne. Ce film nous fait vivre un grand moment
dans la vie de l’humanité. En faisant de l’os une arme, le cerveau humain a inventé
le symbole. Il montre aussi que nous apprenons les gestes un à un. Je l’ai bien
vu, avec mes trois enfants, les mots, les gestes aussi, comment tenir la
cuiller, oups, pas avec les mains, avec la cuiller, à la bouche, pas dans les
oreilles, dans la bouche la cuiller, et ainsi de suite. En Haïti, des hommes et
des femmes sont en train d’apprendre des gestes qui vont faire d’eux d’autres
personnes.
L’Haïtien
qui sort de la tente le matin est propre et bien habillé. Cette phrase vient
d’un coopérant volontaire, alors que nous passions devant un site de déplacés.
L’Haïtien est fier. Il est pauvre, mais digne. Il est comme nous et parfois un
petit peu mieux que nous. Est-il possible de tout perdre quand on n’a rien?
Oui, c’est arrivé il y a six mois en Haïti. Mais l’Haïtien n’est pas un
mendiant. Il ne se laisse pas impressionner. Impression générale, bien sûr.
Nous avons nos deux de pique, eux aussi.
Le 12
juillet, le séisme aura six mois. Les médias du monde entier vont débarquer.
Ils voudront filmer les sites, les tentes. Plusieurs caméras, pas toutes
heureusement, rechercheront des histoires juteuses. Comme ce gars du réseau TVA,
qui courait les cadavres et les camions de vidanges. Il n’aura pas à courir
loin cette fois. Il n’aura qu’à regarder dans les décombres, il y a plein de
cadavres encore, ça devrait faire de belles images.
Les images
vont ressembler à celles qu’on voit depuis un bon bout de temps. Des tentes et
des tentes sans arrêt avec des gens dedans. Les caméras vont filmer et pourront
dire que ça n’avance pas vite en Haïti.
Les caméras
ne verront pas que certains Haïtiens ont les mains plus propres, que le nombre
de diarrhées est tombé à zéro à certains endroits et que les bactéries sont en
train de manger une volée. Les caméras ne verront pas les petites victoires, celles
qui se gagnent une à une, comme les gestes. Elles ne verront pas que la
reconstruction commence par l’intérieur. C’est ça l’humanitaire. Et voici le
scoop: la reconstruction est commencée, elle est invisible aux caméras.
Lorsque je
suis allé visiter le site Delmas 75 Opposit Church,
je n’ai pas voulu entrer. Ces tentes ne sont pas un camping, encore moins un
zoo, ce sont les résidences de gens fiers. Je n’ai pas pris de photos non plus.
Montrer quoi? Des édifices écroulés qu’on a vus et revus? Avez-vous déjà vu les
pyramides d’Égypte? Elles sont plus immenses que ce vous pouvez imaginer. Les
dégâts en Haïti, c’est la même chose. Ce que vous avez vu à la télé, en plus
immense, et partout. Le Palais national est une baleine échouée, il ne peut
entrer dans une caméra.
Je n’ai pas
pu rapporter ce que j’aurais voulu montrer. Un film de 10 minutes montrant une
équipe de théâtre faisant revivre le séisme. Les comédiens sont des gens
ordinaires, ils jouent le rôle qu’ils ont vécu. Un film sur Haïti qui se
relève, qui cherche à passer à autre chose. Enfin, une image positive, d’une
beauté et d’une intelligence qui font du bien. Ce film ne sera pas présenté le
12. Il n’est pas terminé. Comme l’histoire des Haïtiens n’est pas terminée. La
suite le 12 janvier 2011. Le séisme aura un an, et des milliers et des milliers
de gestes de gagnés, trop petits pour les caméras.
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