jeudi 15 février 2018

Le vol du siècle



Mon fils est allé à la clinique médicale.

On s’entend qu’une infection à la gorge ne fait pas partie des priorités prioritaires.

Il a attendu une heure. Soixante minutes, trois mille six cent soixante secondes. Pas six heures, une.

La gorge n’est pas belle. La Dre lui recommande l’urgence du Jewish General Hospital, ça va plus vite.

À l’urgence, Louis Karim a attendu trente minutes. Pas dix-sept heures comme la moyenne, trente minutes. Une moitié d’heure.

Petite pause, ici, pour mesurer le vide. Une demi-heure, c’est trente-quatre fois plus rapide que dix-sept heures.

Bref, mon fils a volé seize heures et trente minutes au système de santé. Les amis du Jewish ne s’en sont certainement pas rendu compte.

Il y a quelque chose d’irréel à voir les choses bien fonctionner à l’entrée du système de santé.

L’urgence du pavillon K du Jewish est flambant neuve. Il y avait dix personnes. Les deux cents autres devaient être cachées quelque part.

Ce qui fait baigner l’urgence dans l’huile, ce ne sont pas les murs en merisier, semblables à ceux de la Grande bibliothèque.

Ce ne sont pas non plus les portes vitrées 3.0, qui souhaitent automatiquement la bienvenue à tout visiteur.

Ce n’est pas non plus la dame et le monsieur au comptoir Triage, ni la dame à l’Information.

Ce qui fait baigner dans l’huile se passe entre eux. Cette façon immatérielle de se comprendre, de travailler, de coordonner, d’appliquer un système qui baigne. La planification mais surtout, la simplicité d’une culture du travail qui fonctionne.

Baigner veut aussi dire flotter.

Ici, le patient est au cœur du système de la santé. Pour les francos, on aimerait y croire.

Quelqu’un quelque part met un bâton dans les roues du système franco. Il porte un sarrau blanc et ne se plaint jamais de son salaire.

Il faudra un jour en revenir, du complexe des plaines d’Abraham. Nous avons fait une révolution tranquille. Nous sommes en mesure de réussir aussi bien que nos amis anglophones en matière de santé. Pas mieux, aussi bien.

Il y a presque dix ans, maman a été hospitalisée au Jewish. Elle était à peine dans son lit qu’une infirmière a dit nous allons la changer et la laver d’ici trente minutes. Eh bien oui, trente minutes, j’en ai été témoin.

À la pharmacie, nous avons attendu près de trente minutes pour recevoir la prescription. Je n’ai pas pensé à hurler au scandale. Un réflexe reste à naitre.

J’ai demandé à la pharmacienne de m’expliquer le gouffre qui sépare une demie de dix-sept. Elle ne savait pas.

Je ne lui ai pas parlé du vol, par peur de devoir rembourser.

J’ai cherché dans les corridors des blouses bleues ou blanches à qui poser la question. Rien à l’horizon.

Qui veut acheter seize heures et demi d’attente? Je vous les fais à prix d’ami, huit heures et quart.

Nous avons quitté le Jewish.

Petit frisson dans le dos. J’ai huit ans. Je viens de piquer une gomme balloune dans le magasin de monsieur Piché. Il ne m’a pas pogné.




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