mardi 12 décembre 2017

Objectif Nord




C’est un écran télé 16/9. Plus large que long. Il y en a au moins un ou quatre chez vous. Le 16/9 a remplacé le 4/3, plus carré.

Quatre sur trois au carré égale seize sur neuf. Mais la racine carrée de seize sur neuf égale aussi bien quatre sur trois que moins quatre sur trois. Comme quoi il est plus simple de grandir que son contraire.

Ouvert, le livre Objectif Nord, au-delà du 49è expose en 16/9 une galerie de photos du nord du Québec. Belles à se demander ce que je fais en ville.

Le Nord défile en deux cents pages, sur des textes de Serge Bouchard et Jean Désy, ainsi que des collaborateurs.

Vous ne verrez jamais un mot imprimé sur le corps d’un animal, d’une maison ou d’un camion. Les textes s’écrivent sur fond blanc ou noir, sur des ciels, des lacs ou des forêts. Le respect dans le détail de l’édition.

Avant le livre, la pierre a probablement été le premier écran.

La pierre est comme la télé; elle diffuse en autant que le public se déplace vers elle.

Le livre est comme la radio : l’œil ou l’oreille est captivé, l’imagination fait le reste. À la radio, l’écran est plus large, disait le cinéaste américain Orson Welles.

Objectif Nord est écrit en deux langues. Ah, plate. C’est comme le magazine enRoute, d’Air Canada. Un bilinguisme de bon aloi, gris, une impression de voisinage forcé.

Mais non. Ici, l’effet est bénéfique. Placés en sentinelles, les textes français et anglais font élargir l’écran, comme un horizon, avec des couleurs plus partout.

Pour une fois, français et anglais ajoutent du bon ensemble.

Il faut bien être du Sud pour rêver du Nord.

Tamini est un Inuit de 29 ans de Quaqtaq, dans le grand Nord. Quaqtaq veut dire ‘ver solitaire’ (merci Wiki). Tamini ferait fortune au Scrabble avec un mot comme ça.

Quand il était petit, Tamini jouait au hockey en t-shirt par moins 10. Son corps fumait de vapeur et lui riait.

Lorsque la glace du lac Rondeau défonçait, à St-Zénon, il passait des heures dans l’eau. Son thermostat était réglé à l’heure Inuit.

Tamini a maigri de cent livres depuis. Il vit dans une maison chauffée, un thermostat au mur. Le thermostat est un écran vertical.

La semaine dernière, Tamini m’a appelé. Il s’ennuyait. Le câble ne fonctionnait pas. S’il ouvre la porte, la banquise l’attend. Mais il ne voit plus le fantastique écran.

Tamini rêve du Sud.

Son écran mesure maintenant vingt-sept pouces. Il n’imagine plus, il regarde. La télé vole son imaginaire et sa culture, comme le thermostat a dévoré sa résistance. Tamini est frileux.

La nature est devenue sauvage le jour du thermostat.

Un écran voile, protège, arrête, dissimule, coupe, ferme, limite. Parfois, il ouvre, comme un livre.

L’écran ouvert n’a pas de cadre.






1 commentaire:

  1. Je m'y suis plongé. Je n'en suis pas revenu, et pourquoi d'ailleurs. L'Objectif Nord est polysémique, j'ai vu un appareil photo braqué direction nord à la recherche de quelque chose que l'on n'a pas toujours vu ou voulu voir. C'est étrange (et je le dis sans faire référence au texte éponyme d'un emprunteur de plume), il m'a parlé en une seule langue : l'Ailleurs qui est mon Ici, mon chez Moi. Ce n'était ni en français ni en anglais, c'était d'ici, et malgré mon côté nono j'ai compris sa polyphonie, sa diversité, ses richesses. Merci de la découverte Luc. Je garde le Nord.

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