lundi 23 octobre 2017

La première fois




J’ai eu peur une fois dans ma vie.

Lorsque la réalisatrice Lyne Charlebois dit avoir eu peur de mourir, le jour où elle a été agressée par Rozon, je sais exactement de quoi elle parle.

J’ai 17 ans. Un vendredi soir de février, il a beaucoup neigé. On défonce la porte arrière chez mes parents. Je suis seul, je sais que ce n’est pas mon frère.

Je m’embarre dans ma chambre. Le cœur est dans la tête.

J’entends des voix.

Lorsqu’ils passent devant ma porte, ils testent la poignée. Ils s’éloignent.
Tout fucke. Ils sont armés ? C’est des tueurs?

Je ne peux pas sortir par la fenêtre. Je suis sur la première page du Journal de Montréal.

Le téléphone est de l’autre côté de la porte.

Les mains testent la poignée. Ils vont la briser. Je dis eille monsieur.

En entendant ma voix, les gars se poussent. Je prends le téléphone, j’appelle la police. J’enfile mon manteau d’hiver. Je vais exploser.

Pendant deux minutes, c’est le silence complet.
Deux minutes plus tard, il y a 15 policiers dans la maison. Un d’eux me dit, toé, bouge pas! J’ai les pieds dans le ciment.

Les gars n’ont pas couru 500 pieds dans trois pieds de neige.

Un policier raconte que les voleurs sont souvent des peureux. Un jour, un voleur qu’il venait d’arrêter se tenait à quatre pattes. Il grattait la terre avec ses doigts, le suppliant de le laisser aller.

Cette nuit-là, j’ai dormi avec mon frère.

La peur a laissé la place à la colère. Si jamais un ciboire me refait le coup, je le sors par la fenêtre, je le passe par le mur. Il va sortir en sacrament, l’hostie de peureux.

Là, tout de suite, tout remonte. C’est Hitchcock, la musique sur la femme dans la douche.

Je sais la peur de Lyne Charlebois. Ça fait mal, et je n’ai pas été violenté physiquement.

Choquez-vous, les femmes, il a peur de vous.
Choquez-vous, les hommes, c’est un chieux.

Je n’ai plus jamais eu peur, de rien ni de personne. C’est comme ça.
Maintenant, je sais comment se passe la première fois : la surprise est la pire ennemie.

La prochaine fois, je lui garde un chien de ma chienne.



1 commentaire:

  1. Luc, Bravo ! pour ton texte, oui merci pour cet épisode terrible qui parle à chacun de nous, puisque nous sommes tous des peureux ou du moins la peur nous l'avons rencontrée un jour, une nuit, à un moment donné. Cette peur qui est un effroi, une horreur bien plus qu'un sentiment d'incertitude. Cette peur qui est une violence, un viol, bien plus q'un comportement lâche. Cette peur-là tu la rends si bien. Merci pour le partage, Dave Ludewic.

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