dimanche 11 décembre 2016

Une couverture de laine




J’ai beaucoup aimé mon père. Je l’aime encore. Je me souviens du jour où il est mort, moins de l’année. Je dis ça, il m’arrive de ne pas y penser, le 6 avril. Ce que je n’oublie pas, c’est qu’il est mort.

Je ne me suis jamais ennuyé une seconde avec lui. À l’église, devant son urne, je lui ai dit que mon enfance avait été celle d’un ti-cul devant un feu d’artifice. Il y avait toujours du nouveau, un nouveau projet, un nouveau bébé, une nouvelle auto.

L’été, à St-Jovite, dans les Laurentides, j’arrêtais régulièrement à la tabagie La Promenade, acheter un cigare La Florena. Il était présenté dans un tube de verre et un capuchon en plastique, fermé sur le dessus par un jeton de plastique rouge. Papa appelait ce cadeau de la reconnaissance filiale.

Papa avait une très belle voix de basse. Il chantait beaucoup et avec bonheur. Il a vu le film The Sound of Music plus de 30 fois, pour la musique et la voix de la mère supérieure.

Quand mes enfants sont nés, je me suis demandé comment je pourrais recréer ce legs musical sans chanter, une timidité. Mes enfants ont mariné leur enfance au son d’une guitare sans voix.

Un jour que je l’emmenais à l’hôpital pour des tests, papa m’a dit j’achève, Luc. Je poussais la chaise roulante, je n’ai pas dit un mot.

Chacun des six enfants avait son jour de visite à l’hôpital. Nous gardions un contact continu, et maman soufflait. J’allais le voir à tous les jours, souvent deux fois par jour.

Quelques jours avant sa mort, j’ai joué dans sa chambre Le renard à l’anneau d’or, une pièce de Georges Moustaki qu’il aimait particulièrement. Il a dit c’est beau la musique. Mes sœurs pleuraient.

Je soupçonne Adam Cohen d’avoir beaucoup aimé son père. Il suffit d’écouter les arrangements musicaux sur le CD du père, You Want It Darker.

Je n’ai connu personnellement aucun des deux. Je ne connais pas grand chose aux arrangements. Quand j’écoute ce CD, j’entends la musique, bien sûr, mais surtout l’affection d’un fils pour son père.

Les chansons de Leonard Cohen ont l’air graves, sévères ou tristes, comme un homme qui dit j’achève, mon fils. Le ton ressemble à celui de Johnny Cash sur ses derniers CD, une voix prête à partir.

Je soupçonne Leonard Cohen d’avoir été très heureux de ces moments passés avec son fils.

Il y a au centre la voix du père. Autour, il y a les chœurs mâles de cette synagogue de Montréal. Il y a ce violon qui fait penser à la tradition juive, mais aussi à nos violoneux. Un peu d’orgue, de guitare et de basse. Il y a un ton très fin, très mesuré et aussi, autre chose.

Les arrangements d’Adam Cohen sont tissés comme une couverture de laine. Le fils enveloppe la voix de son père dans la couverture et lui dit tiens, papa, tu seras bien ici.









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