J’ai
beaucoup aimé mon père. Je l’aime encore. Je me souviens du jour où il est
mort, moins de l’année. Je dis ça, il m’arrive de ne pas y penser, le 6 avril.
Ce que je n’oublie pas, c’est qu’il est mort.
Je ne me
suis jamais ennuyé une seconde avec lui. À l’église, devant son urne, je lui ai
dit que mon enfance avait été celle d’un ti-cul devant un feu d’artifice. Il y
avait toujours du nouveau, un nouveau projet, un nouveau bébé, une nouvelle
auto.
L’été, à
St-Jovite, dans les Laurentides, j’arrêtais régulièrement à la tabagie La Promenade, acheter un cigare La
Florena. Il était présenté dans un tube de verre et un capuchon en plastique,
fermé sur le dessus par un jeton de plastique rouge. Papa appelait ce cadeau de
la reconnaissance filiale.
Papa avait
une très belle voix de basse. Il chantait beaucoup et avec bonheur. Il a vu le
film The Sound of Music plus de 30
fois, pour la musique et la voix de la mère supérieure.
Quand mes
enfants sont nés, je me suis demandé comment je pourrais recréer ce legs
musical sans chanter, une timidité. Mes enfants ont mariné leur enfance au son d’une
guitare sans voix.
Un jour que
je l’emmenais à l’hôpital pour des tests, papa m’a dit j’achève, Luc. Je
poussais la chaise roulante, je n’ai pas dit un mot.
Chacun des
six enfants avait son jour de visite à l’hôpital. Nous gardions un contact
continu, et maman soufflait. J’allais le voir à tous les jours, souvent deux
fois par jour.
Quelques
jours avant sa mort, j’ai joué dans sa chambre Le renard à l’anneau d’or, une pièce de Georges Moustaki qu’il aimait
particulièrement. Il a dit c’est beau la musique. Mes sœurs pleuraient.
Je soupçonne
Adam Cohen d’avoir beaucoup aimé son père. Il suffit d’écouter les arrangements
musicaux sur le CD du père, You Want It
Darker.
Je n’ai
connu personnellement aucun des deux. Je ne connais pas grand chose aux
arrangements. Quand j’écoute ce CD, j’entends la musique, bien sûr, mais
surtout l’affection d’un fils pour son père.
Les chansons
de Leonard Cohen ont l’air graves, sévères ou tristes, comme un homme qui dit
j’achève, mon fils. Le ton ressemble à celui de Johnny Cash sur ses derniers
CD, une voix prête à partir.
Je soupçonne
Leonard Cohen d’avoir été très heureux de ces moments passés avec son fils.
Il y a au
centre la voix du père. Autour, il y a les chœurs mâles de cette synagogue de
Montréal. Il y a ce violon qui fait penser à la tradition juive, mais aussi à nos
violoneux. Un peu d’orgue, de guitare et de basse. Il y a un ton très fin, très
mesuré et aussi, autre chose.
Les
arrangements d’Adam Cohen sont tissés comme une couverture de laine. Le fils
enveloppe la voix de son père dans la couverture et lui dit tiens, papa, tu
seras bien ici.
Ma-gni-fi-que Luc. Ma-gi-que. Merci pour la belle émotion.
RépondreSupprimerLudewic