lundi 6 juin 2016

Il n'y a que les mots (deux)



D’où viennent les mots? Des grottes de Lascaux. Nous avons tous en notre intérieur un endroit où siègent nos mots. Ce sont des impressions, des intuitions, des flous, rarement des phrases complètes. Les flous prennent la forme de lettres ou d’images à l’étage supérieur, entre les oreilles.

Les grottes de Lascaux sont situées dans le corps de la France. Des dessins écrits sur les parois, ou l’art pariétal. Je ne sais pas si l’humanité a produit quelque chose de plus beau. Les grottes de Lascaux sont probablement l’endroit où la Terre puise ses mots lorsqu’elle les cherche.

En Occident, le texte est un parcours de gauche à droite et de haut en bas. Au fil du récit, le lecteur crée ses images à partir des lettres. Les mots ont beau être imprimés, chaque sensibilité voit ses images.

On aborde une image au contraire des lettres. L’image crée une impression. J’aime ça, je n’aime pas ça, c’est donc ben bizarre. Je ne sais pas pourquoi encore, mais ça s’en vient. Il y a quelque chose qui me plait dans cette photo, la brume, les couleurs. En fait, les éléments ont l’air fragiles, mais l’ensemble est très bien campé. Voilà. Le trajet peut prendre cinq minutes ou trois mois.

Pour qu’il y ait conversation, pour voir sur la toile que le philosophe médite dans une maison, il faut bien que ces mots existent dans le répertoire de Rembrandt et dans le mien.

Dans mon parcours, l’école a toujours porté son attention uniquement sur les mots écrits, jamais sur les mots dessinés. La grammaire française est une dictature des lettres.

Curieusement, l’école ne m’a jamais appris à écrire. Elle m’a montré à organiser une phrase, sujet, verbe, complément. Elle m’a fait conjuguer les verbes, accorder les participes et adjectifs, mais à écrire, à aimer l’écriture, à développer un style, jamais. L’école ne m’a jamais montré autre chose que de me sentir ordinaire.

Le premier prof qui m’a éveillé, c’est le journaliste Pierre Foglia, dans un cours d’écriture journalistique, COM 2650, à l’UQAM. Il m’a enseigné la métaphore de l’ennui, une vache qui regarde passer un train. Il y a dans cette phrase tout un enseignement. Foglia a peint un dessin sur le mur de ma grotte. Il m’a appris à écrire des dessins.

Ecrire, c’est réfléchir, relire, réécrire, recommencer, pomme x, pomme v, gosser jusqu’à ce que la peau du morse soit lisse comme l’art inuit. Un bon texte, c’est le jeu de guitare de Jimi Hendrix, Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia Marquez et la lumière de Rembrandt.

L’écrivain Émile Zola a écrit J’accuse pour torpiller l’hypocrisie de l’armée française envers le capitaine Dreyfus. Le peintre Pablo Picasso a exécré les fascistes allemands et italiens avec Guernica, après le bombardement de la ville du même nom. Zola et Picasso sont des descendants de Lascaux.

Si je revoyais mes professeurs de l’école primaire, je leur suggèrerais d’enseigner la perspective des mots. Je leur dirais d’ouvrir l’imaginaire des ti-culs, le moteur de l’instruction. Mais les profs âgés de 30 ans il y a 50 ans n'enseignent plus à des enfants de 10 ans.

Ouvrez votre livre de mathématiques à la page 32. Dans le train pour Sainte-Adèle, y avait rien qu’un passager, c’était le conducteur et puis le chauffeur et il voulait débarquer. Dans le bout de Mont-Laurier, paraît qu’on a vu le train filer dans le firmament la nuit passée, tchou, tchou, tchou, tchou. De quel côté se dirige la fumée ?





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