Il est trois heures vingt dimanche dans la nuit, et je
pense à Michel Foucault, philosophe français.
En 1984, je suis inscrit à la maitrise en com, à l'UQAM. Marike
Finlay Pelinsky, prof du cours d'épistémologie, nous parle du décès de Foucault.
Elle ne prononce pas sida, le mot tabou. Un mot tabou fait beaucoup de bruit dans
les têtes, mais très peu quand il est chuchoté.
Quatre ans plus tôt, dans le dernier cours du bac en Psychosociologie
de la communication, à l'UQAM, notre prof Bernard Schiele nous avait parlé de
Foucault. Bernard avait l'habitude d’expliquer en décortiquant les arguments,
comme un maniaque désosse un poulet. Il nous avait suggéré de lire Surveiller et punir sur une plage.
Une phrase dite est la plus fragile des communications.
Si vous n’êtes pas là au moment où elle passe, si vous êtes distrait ou des
écouteurs dans les oreilles, vous risquez de rater le coche. Ce jour-là,
j’étais assis en plein dans la trajectoire des mots. J’ai lu Surveiller et punir sur une plage et ma
vie a changé.
Foucault avait le don de virer des lieux communs comme
des crêpes. Dans une conférence portant sur l'échec de la prison, il était venu
à Montréal dire que la prison n’est pas un échec, mais une réussite. La prison
remplit un rôle important dans la société, elle gère les illégalismes. La
prison répond à un besoin, elle s’inscrit dans une dynamique sociale.
Je suis tombé en bas de ma chaise de plage. Je pensais à
l'époque que la prison fonctionnait en linéaire. Tu fais un crime, tu vas en
prison ; tu as purgé ta peine, tu sors de prison. La Terre tournait
soudainement autour du soleil.
Le septembre suivant, je regarde Bernard Derome présenter
les nouvelles à Radio-Canada, et je me demande si le processus de traitement
des nouvelles répond lui aussi à une dynamique, au lieu de suivre un parcours
linéaire. Un événement important arrive, les journalistes en parlent. J'ai mis
quatre ans à répondre à cette question. En cours de route, Foucault est mort,
durant le cours de Marike.
Un jour, je me suis débarrassé de mes livres académiques.
Plusieurs ornaient les rayons de la bibliothèque pour donner un air intello. Je
me suis débarrassé de cet air, en gardant uniquement les livres de Foucault,
pour mes vieux jours.
J’ai essayé à quelques reprises depuis de lire Les mots et les choses. Je n'ai jamais
pu me rendre plus loin que la page 30, je ne comprends pas un mot. Il reste l'Histoire de la folie, Surveiller et punir, et l'inachevée Histoire de la sexualité, en trois
volumes.
Il y a deux semaines, j'écoutais une entrevue de Foucault
sur youtube. Le cou entouré d’un col roulé, sa tête pas de cheveux disait que nous n'écrivons pas pour dire ce que nous
pensons, mais pour ne plus avoir à y penser.
J'aime ce genre d'esprit tordu, jamais là où on l’attend.
Au fond, la technique de Foucault est simple : chaque fois qu’on lui
montre une porte, il voit une fenêtre.
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