Le samedi 17 novembre 2012.
J’ai trouvé émouvant de
rencontrer Pierre ce matin. Il n’était pas 9 heures, nous étions les deux seuls
clients de la grande cafétéria de l’hôpital Notre-Dame. Un endroit pour le
moins inusité pour une rencontre imprévue. J’ai commandé deux oeufs tournés
pain brun, pas de tomates, ni patates, ni viande. Il a demandé la même chose,
avec saucisses.
Pierre Nadeau est un des
chefs de file du journalisme, non seulement radio-canadien, mais du journalisme
canadien tout court. Si les années 50 et 60 ont été celles de René Lévesque au
Québec, celles des années 70 et 80 ont été dominées par Pierre Nadeau. Un homme
d’une grande intelligence, d’une belle allure, très élégant, beaucoup d’énergie
et peu de complaisance. Il a couvert les grands conflits, il a animé quantité
d’émissions d’affaires publiques et même, de variété. Il a été élu le plus bel
homme du Canada. Bref, la première fois que je l’ai rencontré, il était encore,
dans ma tête, dans un écran de télévision, je voyais une icône. Il m’a fallu
quelques rencontres avant que je ne le sorte de ce cadre pour m’adresser enfin
à l’homme.
Nous étions ce matin des
amis. Pierre m’a demandé sans indiscrétion qu’est-ce que tu fais là. Le cancer de
Hodgkin de ma fille. Il a enchaîné sur le cancer de sa femme. Cancer de la
moëlle épinière, assez difficile. Des sessions de chimio sept jours en ligne,
ce doit être infernal. Il a parlé de sa maladie le Parkinson, comment elle le
ralentit. Je lui ai dit pourtant, tu es très vif, tout à fait présent. Oui,
mais il me faut cinq minutes pour enlever ma veste. Ces petits gestes qui préludent
la vieillesse.
Nous avons parlé de la
Palestine. Pierre a beaucoup couvert cette région. Les Palestiniens, Arafat,
les entraînements de felquistes avec des commandos, c’est son scoop, etc. Cette semaine, dit-il, la
violence a repris, un drone a détruit la voiture de ce militaire palestinien
..., ..., ...............,
.....................................................................................,
tu vois, à un moment, je cherche mes mots, c’est ça le pire. Ils vont revenir,
je pourrais les écrire sans problème, mais en attendant, ça m’empêche de
travailler. Oui, mais quand tu es passé à Tout
le monde en parle, tu étais très vif, assez allumé, même. En fait, en
pleine conversation à cette émission, ses yeux pissaient d’intelligence. Plus
tard, alors que les autres discutaient autre chose, la caméra a montré Pierre,
l’air ailleurs, absent.
J’ai attendu qu’il se rende à
l’évidence, je ne suis pas capable d’ouvrir mon contenant de confiture, pour
lui offrir de le faire. Il y a un moment pour intervenir, tout doucement, juste
avant que l’autre ne s’énerve. Une petite marque d’amitié. Les personnes qui
perdent de la mobilité amènent ce genre de geste intime. Il doit être fait
simplement, du genre passe-moi le beurre. C’est un échange, Pierre. Tu m’as
assez allumé toutes ces années à la télé, je peux bien te rendre ce petit
service.
J’ai connu Pierre en 1992, à
l’époque où il co-produisait l’émission Les
Grands procès, avec son ami producteur Vincent Gabriele. Quand le concepteur
Cédric Loth et moi lui présentions les pleines pages journal de pub, il
écoutait, curieux. Comme un journaliste, celui qui observe et comprend avant de
poser des questions. Il m’avait toujours impressionné par la parole, il
m’impressionnait maintenant par le silence. Aujourd’hui, le silence est
l’avenir du Parkinson.
Nous avons fait le tour de
notre conversation en même temps que celui des oeufs. Le côté émouvant de cette
rencontre, ce n’est pas le hasard, ni la maladie. C’est de voir que le monsieur
demeure toujours aussi grand.
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