J'imagine le tout premier hiver que mes
ancêtres ont dû subir, en 1535, quelque part sur le bord du St-Laurent. Ils ne
parlaient ni la langue de la forêt, ni celle du froid, ni celles des
Amérindiens. J'imagine la surprise de la neige, de la glace emprisonnant les
bateaux, du froid traversant le bois de la coque, les manteaux, les mitaines, les
bottes mouillées et les os. J'imagine la peur de la mort, du temps qui n’en
finit plus de ne pas finir, de la colère de l’impuissance. Le disque dur qui
tourne à plein régime pour trouver des solutions. Le mur de l’immigrant.
J'imagine une nouvelle expression
française, Oh phoque!, probablement
un cri du coeur à la vue d'une otarie paresseuse se prélassant au soleil sur la
banquise, à l'abri du scorbut qui rongeait les hommes jusqu’aux sangs. Je
suppose que, à ce moment, les livres de philo et les dictionnaires de mes
ancêtres ont servi à allumer le feu, laissant le champ libre à l'édification de
nouvelles connaissances. Je suppose que, à ce moment, ils ont décidé de faire
table rase du passé, qu'ils avaient affaire à se bâtir une table toute neuve,
et plus vite que ça. Ils devraient entièrement repenser les façons de penser et
de faire. Le contexte idéal pour inventer une nouvelle façon de sacrer. Il leur
fallait créer un nouveau monde de toutes pièces. En pin ou en chêne ? Ce
jour-là, j'allais devenir un descendant de coureurs des bois. Fini les gaulois,
bonjour les québécois.
Mes ancêtres n'avaient de bagages que
leur accent français et leur peu d’instruction. Ils commenceraient à
s’instruire 425 ans plus tard, ainsi en auront décidé les curés. Mais
l’instruction n’est que le formatage du talent et de l’intelligence en
idéologie. En attendant, le Québec allait se gosser à la hache, au bucksaw et à hauteur d'homme. La femme
allait transmettre aux générations une langue nouvelle et des valeurs adaptées
au terroir. La créativité allait coûter cher à tout le monde. Avec le temps,
les ancêtres ont sacrifié la nature pour l’habitat, ils ont coupé les autochtones
de leurs racines et ont sorti le froid des maisons.
Si le québécois possède une seule
qualité, c'est sa capacité de créer sur un terrain vierge, un habitat sorti de
la nature et de l'hiver. Ce n'est pas un hasard si nos hommes sont devenus si
performants dans la construction. Qu'est-ce que construire une maison si ce
n'est de créer un habitat à partir de la nature et de l'hiver?
Placez un québécois devant un territoire
inconnu, il sort sa hache. C'est son ADN.
Assoyez-le devant un ordinateur et des
manettes, il inventera des jeux vidéo d’une telle qualité que les grands de ce
monde s'installeront ici pour profiter de la manne créative. La créativité
est-elle héréditaire? Oui, dans la mesure où elle est culturelle.
Ce n'est pas une question d'instruction.
Mes ancêtres ont créé sans même aller à l'école. Cela ne les a pas empêchés
d’inventer bécosse, crosseur et poudrerie, des mots qui ne couchent pas toujours ensemble. Les bras
francophones étaient requis aux champs et les cerveaux instruits parlaient
latin et anglais. Pendant ce temps, l'intelligence pratique rayonnait autour
des patenteux et inventeurs de bras. L’hiver est le père du ski doo, une
filiation directe des premiers colons. Ceux-ci ont créé l'habitat,
Joseph-Armand Bombardier leur a inventé un moyen de communiquer.
Si l’eau a inventé les castors,
les descendants de nos ancêtres ont créé les grands barrages. Les québécois en
ont fait un seul réseau, une électricité de la même eau. Et René Lévesque leur a
imaginé un lieu de rassemblement, la langue française.
Nous sommes tous
des immigrants. Notre langue est française et notre pensée, anglo-saxonne. C’est
ce que j’enseigne dans mes cours de français langue seconde. Vous venez de
l’espagnol, du moldave ou du mandarin. La différence entre vous et moi, c’est
300 ans. Et 26 000 ans avant vous et moi, il y avait des autochtones. Mais
l’autochtone n’est plus là. Nous avons été tellement créatifs que nous les
avons tassés en chemin.
Et le nouvel
immigrant de raconter ses histoires, toutes semblables, pourvu qu’il ne parle
ni le français, ni l’hiver, ni l’anglais. C’est l’histoire d’un mur. En
arrivant, chaque son, chaque mot, français ou anglais, est du chinois. Chaque
homme, femme et enfant est un parfait étranger avec qui la communication reste
à faire. Il y a de la neige dans la télé et du bruit partout. Pour se
réchauffer, il arrive que, des heures durant, il lise à voix haute du Michel
Tremblay, pour essayer de pénétrer notre pays. Chez nous, le français est une
couverture de laine. Dans certains cas, deux semaines après son arrivée, l’immigrant
a trouvé du travail, ni français ni anglais, celui dont nous ne voulons plus.
Dans la plupart des cas, il a peur sans se plaindre. Le silence est le prix de
l’immigration.
L’immigrant
d’aujourd’hui connaît le froid de la solitude. Sa mort, c’est la peur du rejet
et de l’expulsion. Cela ne nous intéresse pas. Nous n’avons peur de rien, nos
ancêtres l’ont eu à notre place.
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