vendredi 15 août 2025

Heureux les nomades, et fin


Chargé de cargos, de chalands, de paquebots, de pétroliers, le Saint-Laurent quitte l’Île de Montréal au confluent de la rivière des Prairies. La rue Notre-Dame y entreprend le voyage qui la portera à travers la ville jusqu’à Lachine.


Est-Ouest est le second texte de l’ouvrage Heureux les nomades et autres reportages 1940-1945, de Gabrielle Roy. Il débute comme un dessin animé sur la Ville de Montréal.


Un dessin animé transforme un objet improbable en un sujet du verbe. La souris Mickey Mouse, de Walt Disney, pilote le bateau Steamboat Willie, sur le Mississippi, en 1928.


Le lecteur se laisse séduire par la proposition irréelle, et Mickey Mouse intègre sa culture.


Le Saint-Laurent quitte l’Île de Montréal au confluent de la rivière des Prairies.


La rue Notre-Dame y entreprend le voyage qui la portera à travers la ville jusqu’à Lachine.


Que s’est-il passé, suite à la rencontre des rues Sainte-Catherine et Peel?


Ces personnages sont en mouvement. Le fleuve devient un acteur. Il quitte toujours l’Ile de Montréal, et la rue Notre-Dame entreprend toujours un voyage, quatre-vingts ans plus tard.


Le support papier du Bulletin des agriculteurs est un écran. Je vois, j’entends le vent, la neige et les souffleuses. La fontaine ronde, au milieu du parc rectangulaire du Carré St-Louis.


L’Abitibi et ses gens.


Mais il y a plus.


Je range cet ouvrage à côté de ceux de l’anthropologue Serge Bouchard. Du groupe Kashtin et Florent Vollant. De l’historien Denys Delage. De l’anthropologue Rémi Savard. De l’avocat et auteur Cri Harold D. Johnson. Des cinéastes abénakises Alanis Obomsawin et Kim O’bomsawin. De l’aînée Innue Joséphine Bacon. Du cinéma autochtone Wakiponi. Et ainsi de suite. Je garnis les rayons de la nouvelle bibliothèque de mon histoire.


Il faut réécrire toute notre histoire, 15 livres et 15 films, dit Serge Bouchard dans le documentaire L’empreinte.


Des travaillants, du courage, des bâtisseurs. Du sang, de la sueur et des larmes, disait Winston Churchill.


Jamais de porteurs d’eau ni de petits pains.


Une révolution pas tranquille.


Plus un Canadien français est isolé là-bas (dans l’Ouest canadien), plus il se montre entreprenant, écrit Gabrielle Roy. C’est l’histoire de l’Écossais qui réussit à Londres, de l’Anglais aux Indes, de l’Irlandais à New York. Quand un Canadien français est seul de sa race dans un village de l’Ouest, il y occupe presque toujours un emploi marquant (p. 281).


Pour encourager son mari bûcheron dans le bois, sa dame l’accompagne. Quand je le voyais fatigué, dit-elle, prêt à se décourager, je lui disais: j’aurais jamais cru que tu étais aussi fort. Et il se redressait de toute sa taille et recommençait à bucher. (p.211).


Je n’ai jamais lu des propos aussi marquants à l’école.


Si nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple, comme disait le premier ministre René Lévesque, nous sommes peut-être aussi nés pour un gros pain.


La bibliothèque est prête, monsieur Bouchard.


Il reste à ouvrir les portes de l’école.





 

Heureux les nomades, suite

 

Je lisais Le peuple rieur, de l’anthropologue Serge Bouchard. Lorsqu’il a cité Heureux les nomades et autres reportages 1940-1945, de Gabrielle Roy, je me suis dit faut lire ça.


Durant cinq ans, la future romancière se fera journaliste. Laïque, en plus. Ce n’est pas un détail. Cinq ans de textes qui ne sentent pas le curé, dans les années 40, ça ne court pas les bulletins.


Cela veut dire que les faits journalistiques prennent le pas sur le style. Dans le cas de Gabrielle Roy, les faits et le style forment un couple.


Les faits ne peuvent contenir le talent. Cela donne des textes vivants, quatre-vingt ans plus tard.


J’imaginais Gabrielle Roy d’un siècle lointain et d’un autre pays, Winnipeg. Gris pâle sur gris gris. Elle porte probablement des jupes en laine, dont les plis soignés tombent en bas du genou.


Je découvre un texte unique. Pendant cinq ans, dont quatre au Québec, Gabrielle Roy arpente le pays, à la découverte de gens, d’espoirs, de géographies et d’humeurs. Sa plume se tient à fleur de peau des exils intérieurs.


Quel pays peut se vanter de compter dans sa besace une telle mémoire d’une telle plume?


Heureux les nomades fait référence aux colons qui venaient de partout pour aller n’importe où.


Je découvre une autre lecture de notre histoire. Elle est plus proche parente de celle racontée par Serge Bouchard que celle des curés.


Il y est question d’accent durable, d’occupation de territoires par les Canadiens français.


De force tranquille. Les Canadiens français donnent au pays un aspect permanent, de durée, un accent, oui vraiment, un accent éternel. De façon si normale, si peu belliqueuse, si peu comme une revanche, que le vieillard, en cette nuit d’été, regarde les étoiles et cherche à voir comment cela a pu se faire (p.384).


Le colon partage l’élégance du ton pour le dire.


Gabrielle Roy raconte une histoire d’horizons. Comme « Vers d’autres rives », le titre de mon ouvrage préféré du romancier Dany Laferrière.


Les rives de la Côte-Nord. De la Gaspésie, de l’Abitibi, des Cantons de l’Est, de l’Ouest canadien. D’ailleurs.


Des nomades explorateurs entrepreneurs. Trois pléonasmes en une phrase pas de verbe.


Et si notre histoire en était une d’explorateurs et d’entrepreneurs? Et si ces gens nés pour un petit pain étaient propriétaires de la boulangerie? Et les porteurs d’eau, de l’aqueduc?


Si la vie au Lac Saint-Jean traduit un trait du peuple canadien-français, écrit Gabrielle Roy, c’est bien l’habileté de conquérir une place au soleil par le défrichement plutôt que par le commerce (p.308).


Tu donnes au Canadien français une terre nouvelle, il la défriche et bâtit une maison.


La Révolution tranquille a été l’occasion de reprendre les clés de notre maison.


Il y a beaucoup d’affection dans le regard de la journaliste. Un soleil couchant sur la rosée du champ.


Le regard d’Héliodore Barbe, maire de La Conception de mon enfance. Il conservait des blocs de glace, couverts de bran de scie, dans une cabane, au mois d’août, pour les vendre aux touristes des campings.


Le regard de Joseph Saindon, un ancien maire. Épicier et barbier, son épicerie à l’ombre des arbres, derrière l’église. Il nous coupait les cheveux en brosse pour l’été.


De Jules et Juliette Therrien. Lui et sa pipe, dans son taxi Plymouth Fury noir 1963, quatre portes, ou au volant d’un autobus scolaire jaune.


Sa Juliette avait connu les camps de bucherons. Au petit matin, elle taillait la glace du lac pour la faire fondre en eau.


Elle nous recevait chez elle, pour le petit déjeuner, à l’époque où notre chalet n’était pas isolé. Elle cuisinait cent tartes au sucre en un avant-midi.


Son Jules se berçait en fumant sa pipe, pendant que sa Juliette nous servait. Quand arrivait le moment du crachoir, il ne ratait jamais son coup.


Un an après le décès de madame, papa a invité monsieur Therrien au chalet. Il a sorti une tarte au sucre du congélateur et la lui a offerte.


Armand Marier ne savait pas lire ni écrire mais parler aux chevaux. Il les appelait dans le champ, d’un bruit sec de bouche. Les jouaux le suivaient comme des moutons.


La peau plissée d’un visage évoque le passé. La douceur du regard, la nostalgie. Le brillant de l'oeil, le présent.


Ces gens étaient tous des enfants de la colonisation. Les nouveaux propriétaires du territoire volé aux Weskarinis (Innus).


Je doute que le curé Labelle le leur ait dit.





Heureux les nomades

 

Heureux les nomades et autres reportages: 1940-45, met en vedette la journaliste Gabrielle Roy. Elle a 30 ans.


Elle passera cinq années à observer et raconter beaucoup le Québec et un peu l’Ouest.


Le sujet: la colonisation. La journaliste prélude à la romancière.


Il s’agit d’une commande du périodique Le Bulletin des agriculteurs, fondé en 1918. Un périodique publie à intervalles réguliers, écrit le dictionnaire Usito.


Notez que le taux de scolarisation chez les Canadiens-Français à l’époque équivaut à une sixième année.


Une telle plume au service des colons et des « colones », durant cinq ans, est un hommage aux hommes et aux femmes des régions.


L’ensemble donne un portrait d’histoire d’une rare qualité.


Le Bulletin des agriculteurs a publié plus de mille fictions, de trois cents auteurs. Ces vingt-huit textes de Gabrielle Roy demeurent, à ma connaissance, le seul grand reportage.


Montréal, Gaspésie, Côte-Nord, Abitibi, Saguenay, Cantons de l’Est, les provinces de l’Ouest, Manitoba, Saskatchewan, Alberta, l’Alaska. Un grand reportage large.


Dans mon esprit, un nomade vit du nomadisme. Un parcours sans fin sur un territoire illimité, à la recherche de nourriture. Les Premières Nations ont été nomades pendant des dizaines de millénaires.


Les seuls nomades européens ont couru l’Amérique en compagnie de leurs guides autochtones. En 1680, 85 % des nouveaux arrivants Français prenaient le bois, dit l’anthropologue Serge Bouchard, dans le documentaire L’empreinte.


Ces nomades sont exclus du récit de Gabrielle Roy. Ses textes vivent dans le présent. Elle ne mentionne pas les presque deux cents ans de vie commune des Canadiens français et des Premières Nations.


En 1940, les réserves servent depuis longtemps d’enclos pour les communautés autochtones. De cela, pas un mot. Les reportages de Gabrielle Roy montrent le côté entrepreneur volontaire des colons européens.


La face éclairée de la médaille.


Dans Heureux les nomades, le nomade, c’est le colon. Il est parti de France pour s’installer au Québec. Des Iles-de-la-Madeleine pour l’Abitibi. Du Québec pour l’Alberta.


Le colon déménage. Est-il nomade pour autant? Plutôt un sédentaire des Iles cherchant à devenir un sédentaire en Abitibi.


Il nomade entre deux ancres, le temps d’un océan ou d’une forêt.


Le colon est à la recherche de grands espaces clôturés. L’autre côté de la clôture n’est pas chez lui. Il pense et vit dans un rectangle.


La première année, il défriche. Il bâtit sa maison. Deux ans plus tard, il vit de ses récoltes, de ses deux vaches et de son boeuf. Et, parfois, de ses voisins.


Dix-sept jeunes gens se sont associés en coopérative, écrit Gabrielle Roy. Les premiers arrivés, il y a trois ans, vécurent tout d’abord sous la tente, puis ils bâtirent leur maison en équipe. Plus tard, ils achetèrent en commun quelques animaux et, en commun, ils installèrent un petit moulin à scie (p.207).


Le nomade pense et vit dans un cercle. La lune, le soleil, la Terre mère, le ventre de la mère, le cycle des saisons.


Le nomade est arrivé à pied sur le continent.


Le colon, en bateau ou en avion.


Le nomade prend le bois.


Le colon prend racine.


Notre histoire est une rencontre entre colons Français et nomades autochtones.


Le nomade de Gabrielle Roy peut être désespéré, motivé par la recherche d’un monde meilleur. Il peut être naïf, mais certainement découvreur et entrepreneur. Il faut du caractère pour partir de Montréal pour monter une entreprise en Alberta.


Gabrielle Roy identifie les Ukrainiens et les Canadiens français comme les plus entrepreneurs.


Mon père est parti de Yamachiche à 18 ans. Il fuyait la pauvreté maudite.


Il est venu entreprendre à Montréal.





Exils

 

Gilles Vigneault, au coeur du pays, est un documentaire sur le poète québécois Gilles Vigneault.


Le film est diffusé à Télé-Québec, dans le cadre du cinquantième anniversaire de la chanson Gens du pays, du même auteur.


Le conteur, humoriste et scientifique Boucar Diouf rencontre Vigneault, à Natashquan, sa ville natale.


Natashquan, là où on chasse l’ours noir, en Innu.


J’ai vu la rencontre de deux exils.


Vers d’autres rives est mon ouvrage préféré du romancier Dany Laferrière. Le romancier vogue vers le roman.


Gilles Vigneault s’est exilé de Natashquan vers le collège de Rimouski. Le fleuve était tellement large qu’il s’est cru sur l’océan. J’ai commencé à écrire sur l’exil tout de suite en arrivant au collège, dit-il.


Boucar Diouf s’est exilé de Dakar, au Sénégal, aussi vers Rimouski. Il y est devenu océanographe.


L’eau goûte le sel, à Rimouski.


Boucar Diouf est un québécois venu d’ailleurs.


Outre la rencontre des deux artistes, le documentaire présente des chanteurs teuses et des chansons de Vigneault. Accompagnés par le chanteur Louis-Jean Cormier et de musiciens.


On rencontre Gilles Vigneault pour l’écouter.


Il reçoit pour parler.


Nommer les choses. Créer du sens.


Enseigner.


Dominer.


Boucar est intimidé.


Tous toutes les participants cipantes sont admiratifs ratives. Le français inclusif est une langue de bégaiements.


Je pense à Janette Bertrand.


À 100 ans bien sonnés, Janette conversationne toujours, dirait Sol, le magnifique de notre enfance.


Une conversation prend le large dans la direction des conversants.


Des capitaines de rives.


C’est parce que Janette a passé sa vie à écouter.


Si elle avait parlé davantage depuis quatre-vingt ans, elle serait peut-être une grande poétesse.


Ses mots sont ceux qu’elle a écoutés.


Une poésie des sans tribune.


Vigneault en exil, On ne sait jamais qui frappe à la porte. On ne sait jamais ce qu'il nous apporte, cet étranger, le voyageur.


Loin comme l’Angleterre, je t’aimerai, je t’aimerai.


Jack Monoloy aimait une blanche, Jack monoloy était indien. Exil impossible.


À la même époque, Kukum, un exil raconté par le romancier Innu, Michel Jean, a réussi. Une grande histoire d’amour entre une exilée et un nomade.


L’exil de Boucar Diouf prend souvent la voix de son grand-père.


L’exil est un passé dans un présent.


Boucar Diouf est d’un exil récent.


Gilles Vigneault est de la lignée d’un exilé de France. Comme à peu près tous les Canadiens français.


Boucar est arrivé en avion. Gilles en bateau. Les autochtones sont arrivés à pied. Ce sont les seuls non exilés de l’histoire.


Pour l’Innu et l’Inuit, l’humain et le pays ne font qu’un.


Dans les textes de Vigneault, l’exil prend la forme d’étranger, de voyageur, d’accueil, de langue et de traditions.


Les traditions, c’est un terrain pour garder le langage et l’appartenance vivantes, dit-il.


Ses yeux se voilent.


Aucun vent, que de l’eau douce.


Il ne faut pas fermer son coeur à l'étranger, au voyageur.


Gilles Vigneault te passe le témoin, Boucar.