mercredi 11 août 2021

Avancez en arrière

 

Avancez en arrière, s’il-vous-plait, disait le chauffeur d’autobus.


Et nous nous tassions un sur l’autre. S’cusez, s’cusez. Nous avancions à tous petits pas vers l’arrière, essayant de ne pas mettre le pas sur le pied de l’autre.


Il s’agissait d’une consigne progressiste, à l’époque du film 35mm, du vinyle et du papier.


J’ai vu hier le documentaire La mémoire des anges, de Luc Bourdon. Un montage d’images du Montréal des années 50 et 60, fait à partir de 120 documentaires de l’ONF.


Des images magnifiques. Je veux dire, d’une qualité remarquable, même si elles sont âgées de 60 et 70 ans.


Ben oui, dit mon ami Donald. Le film 35mm, c’est du HD. Le numérique n’a pas atteint cette qualité.


Depuis 40 ans, Donald dirige son studio de services techniques. Un des rares à être entièrement équipé en technologie 4K. Donald est ma référence en la matière.


Depuis une dizaine d’années, on assiste à un retour en force du vinyle.


Le vinyle a servi de support musical des années 50 à 80.


Tu déposes le vinyle sur le plateau de la table. Tu actionnes le mécanisme et c’est parti pour une écoute de 20 minutes. Tu tournes ensuite le vinyle sur l’autre face pour un autre 20 minutes.


Le décorum est la manière du rituel.


Le CD et le Mp3 ont dématérialisé le vinyle. Aucun des deux n’a jamais atteint la qualité sonore de l’ancien.


On écoute le vinyle, on entend le CD.


Chaque jour, un exemplaire papier du quotidien Le Devoir trône sur ma table. Je le feuillette régulièrement, du début à la fin et de la fin au début.


Il y a quelque chose de solennel de garder un journal ouvert sur une table. Une table lumineuse. Comme la toile "La conspiration des Bataves", de Rembrandt.


Il ne manque que les yeux.


La nouvelle est matérielle dans son papier.


Ce plaisir dure deux jours la fin de semaine.


Le temps est la denrée rare du siècle. Les criminels paient leurs délits avec du temps.


Le développement technologique n’a pas prouvé être synonyme de progrès.


Il nous a rapprochés en temps réel. Ce faisant, il nous a éloignés les uns des autres, chacun la face dans son bidule.


Les grands gagnants sont ces entreprises des nouveaux médias. Les voleurs d’imaginaire.


Avancez en arrière, disait le chauffeur.


Il est là, le temps.




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