Je ne souviens pas des mots de Pierre.
Je m’avance vers la dame Mohawk et lui serre la
main.
Dans ses yeux, je vois des millénaires.
Les millénaires ont les yeux bruns. Ils sont femme,
sensibles, directs.
Tracey Deer est réalisatrice. Elle tourne un film
sur la crise d’Oka de 1990, vue par les yeux de Tracey, 12 ans.
Pierre Plante est premier assistant à la
réalisation. Nous nous connaissons depuis cent ans.
Nous sommes de la famille de l’amitié.
Aujourd’hui, la petite Tracey arrive avec sa mère
pour s’inscrire à un collège à Outremont.
Depuis plusieurs années, je suis dans les livres,
les pow wow, les films. Je veux savoir ce qui s’est passé dans notre histoire.
Je n’ai pas encore dit un seul mot, de peur de rater mon coup.
Je veux connaitre ces ainés dont on nous a séparés
pour mieux les haïr, sur qui vomir, jusqu'à ne plus pouvoir les sentir. La haine
est le sentiment de l’ignorance.
Les ainés sont ces gens qui étaient là avant nous.
Ils nous ont accueillis. Ils ont ouvert leurs terres et leur monde.
Mon frère Gilles est l’ainé des garçons. Au chalet,
il est assis au bout de la table. À l’autre bout, il y a papa.
Quand Gilles n’est pas là, je m’assois au bout de
la table. C’est le plus bel endroit. Quand il est là, je laisse la place.
Michelle et Gilles sont mes ainés. Ils possèdent
une partie de mon passé.
J’attends ce moment depuis deux-cent-cinquante-neuf
ans. L’époque où les Anglais ont coupé les ponts entre les Premières Nations et
nous.
Le troisième est le fouteur de merde, disait mon
directeur de thèse.
Les Britanniques ont créé des réserves pour tenir nos
ainés sous surveillance et voler leurs terres. Puis, les pensionnats, les
enlèvements, les assassinats, les disparitions, le génocide et ainsi de suite.
Pas simple de renouer le contact dans ces
conditions. Je ne vais quand même pas me pointer à Kahnawake, aborder un Mohawk,
une tape dans le dos, viens, on va prendre un café. Nous avons certaines choses à nous dire avant.
Je pensais dire Kwe. J’ai dit nice to meet you.
Je serre la main de Tracey. Tu es ma grande sœur, disent
mes yeux. Tu écris une partie de notre histoire. Merci de me recevoir chez toi.
Je ne sais pas ce que lisent ses yeux.
L’amitié ouvre toujours sur une question.
Comment vas-tu ?
Bravo mon Luc, c'est beau!
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