Mon ami Ludewic vomit. Quand il était petit, ses
professeurs lui enseignaient qu’il appartenait à un peuple de cancres et sans
histoire.
J’ai eu les mêmes professeurs. La différence, c’est
qu’ils ne me traitaient pas de cancre. À la place, ils agissaient comme si j’en
étais un. Récitez par cœur qui est dieu, dieu est un esprit, où est dieu, dieu
est partout.
Là où la couleuvre ne passait pas, c’est lorsqu’ils me
demandaient de croire à la sainte trinité, trois dieux en un. Pourquoi? Parce
que. Cela n’entrait pas dans ma petite tête de huit ans. Aussi, parce que n’a
jamais été une réponse à la maison. L’éducation prime sur l’instruction.
Je ne rentrais pas chez moi blessé, comme mon ami
Ludewic. Ma punition a été de trouver le temps long toutes ces années.
Lorsque j’entendais des inepties, je regardais
ailleurs. Le rêve est toujours dehors. Lorsque mon ami Ludewic regardait
ailleurs, il voyait flou. La peine oblige le regard à rester à l’intérieur.
Alors un jour, on vomit.
L’instruction est un cocon. C’est un moment privilégié
où les adultes racontent la vie des grands aux enfants.
Les professeurs de mon ami Ludewic et les miens
croyaient que les bonnes histoires étaient contenues dans les livres. Alors,
ils les racontaient sans égard à ce qu’ils disaient.
Ils n’ont jamais pensé qu’eux aussi pouvaient conter
des histoires à faire rêver. L’ignorance débute chez l’enseignant.
Lorsque l’enfant voit le rêve parler debout devant
lui, il se sent privilégié. Bien sûr, il ne peut tout comprendre. À 8 ans, il
n’y a pas de place dans cette tête et ce corps trop petits pour contenir toute
la vie. Par contre, il est assez grand pour emporter chez lui ce sentiment de
plénitude. À 8 ans, se sentir être quelqu’un dure toute une vie.
Le bon professeur garde le livre d’histoire fermé.
Il y a deux façons de nourrir l’esprit : on le
gave ou on l’assoiffe. Le gaver entraine un trop plein et fait vomir, surtout
si on ne prend pas soin à la qualité des aliments.
Lui donner soif crée un mouvement vers l’avant. La
soif est la sœur de la curiosité. Il n’y a pas de remède.
Notre société est traversée par une crise d’obésité.
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la génération plus jeune risque
de mourir avant celle de ses parents. L’ignorance crasse laisse la place à
l’ignorance grasse.
Cette crise de l’obésité n’est qu’une manifestation
physique d’une culture de l’ignorance. La famine de l’esprit et l’obésité du
corps. Ce qui manque aux deux, c’est le temps de la réflexion.
Si le peuple de Ludewic n’avait pas existé, il n’y
aurait pas d’humanité.
Vomir fait du bien au regard. Les nuages passent du
noir au blanc. Le vide ouvre une porte au plein. Le rapport aux mots change, je
peux parler aux enfants.
Enseigner rime avec aimer.
Luc, à mon époque, gaver fût un mode d'enseignement. On n'aimait pas beaucoup. Cela n'avait pas sa place. Les enfants étaient gavés comme des oies dans un élevage industriel. Les esprits obèses vomissaient. C'était salvateur, d'une certaine façon. On n'aurait pas survécu.
RépondreSupprimerDe nos jours, la crise d'obésité est celle d'un renversement du paradigme : on ne gave plus et on ne nourrit plus, on n'assoiffe guère et on ne désaltère pas. L'enseignement devient une formation professionnelle, les étudiants une clientèle, dans cette école pratico-pratique, de l'employabilité pour dire du patronat. Pas le temps et de place pour l'amour. Il faut "sécuriser" les enfants pour qu'ils soient productivistes. C'est le postmoderne.
Qu'importe la "famine de l'esprit" ou "l'obésité du corps", on veut du zombie, du mécaniste, rassuré. De l'hédoniste, de l'épicurien, du fun, sécurisé. Tout le temps et pour tout.
Le "temps de la réflexion" n'est pas "fun", drôle,"lol"able, "like"able, fait perdre de l'argent ou ne fait pas vraiment en gagner, aussi rapidement. Et cette ignorance qui commence chez l'enseignant est une norme, qu'est-ce que tu veux, ainsi va le monde.
Promis, je n'ai pas vomi.
Champlain, des Tropiques.