lundi 13 juillet 2015

Toy Story


Jacques pratique un métier qui n'existe plus. Dans un deuxième étage à Longueuil, il répare depuis 20 ans l'électronique d’appareils. À l'ère où l'industrie mondiale de l'électronique fabrique des produits pour les jeter au plus vite, Jacques les fait vivre plus longtemps.

Dans la pièce collée à la cuisine, un petit corridor est bordé de chaque côté par des tablettes. Chacune porte des grosses boites contenant de grosses pièces d'électronique et des petites boites contenant de petites pièces.

Les petites boites sont à peine plus grosses qu'un paquet de cigarettes. Je soupçonne Jacques de se sentir plus proche des petites boites que des grosses. Chaque petite boite contient beaucoup de minutie. S'y entassent des petites vis, des petits bouts de fils ou des connecteurs. Chaque pièce attend le moment où Jacques la choisira pour donner vie à un nouvel ensemble, comme les jouets dans le film Toy Story. Il était une fois une vis à tête plate et un fer à souder.

Un jour, Camille me dit Papa, il y a une petite madame qui t'a appelé. Et comment sais-tu que c'est une petite madame, ma Camille? Elle a un voix de petite madame.

Au bout du petit corridor, on tourne à gauche pour déboucher sur un petit cul de sac. Du côté gauche trone un ordi pour googler des schémas et des pièces. Du côté droit, un petit comptoir pour réparer. Il y a deux places pour travailler, mais il n'y a de place que pour un seul travailleur. Si Jacques doit réparer, madame cesse de googler.

Sur la table de cuisine, il y a une nappe en tissu, imprimée de fruits sur fond bleu. Pour l'occasion, madame a ajouté une nappe en catalogne pour y déposer mon micro-ondes.

C'est la première fois que je revois les rideaux en catalogne de mon enfance, que maman avait accrochés aux fenêtres du salon, au chalet. Ceux de maman étaient décoratifs. Il y avait tellement de grandes fenêtres au salon que la catalogne ne pouvait empêcher la lumière de lire nos Tintin.

Madame travaillle dans le textile. Il y a différentes qualités de catalogne, le coton et les tissus synthétiques, le bon et le moins bon tissage. Madame cause plus que Jacques. La vie de Jacques se déroule entre une vis et un tournevis, un fil et une soudure, une question et une réponse.

Madame montre une catalogne de qualité, elle s'en sert comme tapis. Dommage, je lui aurais bien proposé de la lui acheter pour en faire une nappe. Il en est des catalognes comme des carrières ; un tapis peut-il gravir les échelons jusqu'à devenir une nappe?

Jacques m'emmène dehors, dans son entrepot, un cabanon sur le balcon du deuxième. C'est généralement l'endroit pour le vélo, les bottes d'hiver et la pelle. Ici, il y a un petit corridor bordé de chaque côté par des tablettes. Chacune porte des grosses boites contenant de grosses pièces d'électronique et des petites boites contenant de petites pièces. Les petites boites sont à peine plus grosses qu'un paquet de cigarettes. Je soupçonne Jacques de se sentir plus proche des petites boites que des grosses.

Au bout, le corridor tourne à droite et finit sur un cul de sac rempli de tablettes et de boites. Je ne sais pas si nous sommes dans une grotte ou une mine d'or, chez un ours ou un prospecteur. Le corridor est au gabarit de Jacques, pas trop grand, pas trop gros, bien ordonné. Jacques marche dans son corridor comme dans un manteau.

Pour savoir si vous utilisez un bon micro-ondes, il faut le tenir dans vos mains. S'il est pas mal plus lourd d'un côté, c'est bon. Cela veut dire que le magnetron est de qualité, fait de matériaux solides. Si le poids est à peu près bien réparti, cela veut dire que le magnetron est fait de pièces électroniques, ça augure mal. Dans les mots de Jacques, achète n'importe quoi, mais pas un Panasonic Inverter. À moins que le dit Panasonic Inverter t'ait été offert par ton frère.

Ce matin, je viens chercher le verdict. Je me sens toujours en pays étranger quand je suis reçu par un homme en bedaine. Mon four est un cas de recyclage. Jouer au comique, je dirais mon four est un four.

Jacques va recevoir un client à 9h30. Le monsieur l'appelle deux fois par semaine depuis deux mois. Il veut faire réparer un Père Noël de huit pieds de haut. Un 11 juillet, Jacques répare un jouet de Noël. Quand j'ai quitté, il a démarré le climatiseur.





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