lundi 21 janvier 2013

Le voyage

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Ma Camille s’en va. De mes trois enfants, Camille est mon bébé. Elle n’apprécie pas tellement. À 20 ans, on a moins le goût d’être le bébé, surtout quand on se prépare à partir. Si je l’appelle ma Camille, ça passe mieux.

Camille s’en va de la maison. Pour commencer, six mois en Nouvelle-Zélande et en Australie. Pour se mesurer au monde et à elle-même, elle pouvait difficilement choisir de plus beaux endroits. Difficile aussi d’aller plus loin, il n’y a pas grand monde au Pôle sud.

Lorsqu’elle reviendra, si elle revient, elle entrera dans la maison, montera immédiatement à droite l’escalier de bois, jusque dans sa chambre. Et même si elle revient, elle sera partie. Elle rapportera dans son baluchon six mois de vie bien à elle.

Il y a eu bien sûr des questions. Comment ça, une année sabbatique? Et tes cours à l’université? Tu pars pourquoi? Connais-tu ton itinéraire? Pour ma part, j’ai eu une seule question. Le reste, c’était de la cuisine.

Camille a toujours été libre dans sa tête. Elle est bourrée de couleurs, qu'elle sort quand elle le désire. Quand elle avait cinq ans environ, je remontais régulièrement dans sa chambre lui choisir deux bas assortis. Si je l’avais laissée aller, elle aurait porté un bas bleu et un brun, un blanc et un rouge, et ainsi de suite. J’ai travaillé pour rien. Depuis ce temps, Camille n’a porté que des bas dépareillés. Dépareillés pour moi, pas pour elle. Je n’ai pas eu besoin de la laisser aller, elle y est allée toute seule.

Quand je l’approche, Camille développe parfois autour d’elle un champ magnétique défensif, une barrière anti-papa. Si je veux lui donner un petit bisou dans les cheveux, elle éloigne la tête. D’autres fois, elle vient se coller, et devient mon “scotch tape”. C’est toujours elle qui décide.

Quand elle est à table, Camille ne s’assoit pas comme les autres. Sa chaise est légèrement en angle, un pied posé sur la chaise voisine. Elle s’assoit à table de la même façon qu’elle porte ses longs foulards et ses couleurs bigarrées. Voilà, c’est moi.

Vers l’âge de 12 ans, Camille refuse un soir de manger du poulet. Le lendemain, elle refuse le spaghetti. Le surlendemain, le hamburger. Il nous a fallu deux semaines pour comprendre, elle a décidé de devenir végétarienne. Même les chips ont été tassés par les yogourts. Cela a duré quelques mois. Camille a perdu 35 livres. Plus tard, elle a cessé de porter des vêtements à manches longues et les pantalons longs durant les chaleurs d’été.

L’été dernier, sur une plage du Maine, Camille m’a dit je veux prendre une année sabbatique et aller en Australie. Je ne pouvais pas lui dire non, pas à 20 ans. Et puis, je connais mon moineau. Je lui ai suggéré, dans un premier temps, parle à ta mère de l’année sabbatique et, plus tard, de l’Australie. Nous étions là-bas pour nous changer les idées, suite au cancer de sa soeur, certaines bouchées peuvent être prises une à la fois.

Un voyage se prépare au diapason. Dans un monde idéal, tout le monde est heureux, pour les bonnes raisons. Un mois avant le départ, je n’y suis pas. Deux mille dollars pour six mois? Ce n’est pas assez! Tu vas passer quatre mois dépendante? Pendant quelques jours, j’ai un sérieux problème. Je ne me vois pas la mener à l’aéroport avec cette idée de l’envoyer vers des problèmes. Comme pour en ajouter, j’ai beau questionner, Camille ne dit pas un mot.


 J’appelle mon ami Jean-Pierre, grand voyageur devant l’éternel. Oui, elle fait deux mois avec 2000$, les jeunes voyagent comme ça aujourd’hui, elle a 99% de chances de se trouver un emploi sur place. Ma boucle est bouclée. Je passe le mot à ma fille. Deux jours plus tard, elle est venue me coller.

Pars, ma Camille. C’est toi qui me fais voyager.


1 commentaire:

  1. On la reconnait bien dans ce texte, ta belle Camille... et toi aussi !
    Tes mots ne sont pas seulement des images, mais aussi des émotions. Bravo !

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