J'ai commencé à écrire, j'avais 12 ans. J'étais assis
dans la cuisine, ma guitare sur les genoux, à découvrir ses notes. Deux de ces
notes en alternance donnaient les premiers mots de L’eau vive, de Guy Béart, et s’arrêtaient à comme. Ma petite est comme.
Pour la suite, je devais déposer un doigt sur une touche, ça ira à demain.
L’histoire a débuté à une table de mississipi, dans la
salle St-Louis, au Collège Notre-Dame. Mon copain Laurent me demande veux-tu
acheter une guitare? Dix piastres.
J'aurais pu dire non, j'ai dit oui. C'est comme Lucie
Perreault. Elle me demande veux-tu qu'on sorte ensemble? Un fou dans une poche,
une des belles filles de l’école, j'ai dit oui. Je la connaissais très peu. Je
n’ai pas joué avec Lucie, ça a duré deux semaines. Avec la guitare, ça fait
près de 50 ans.
Au début, les notes s'additionnent, indépendantes l’une
de l’autre. Elles sont comme des spaghettis qui se tiennent debout sur le
comptoir, dans leur contenant de plastique. Chaque tige est une pâte, et
l’ensemble ne fait pas un plat. Les notes sont verticales, nous sommes loin du
concerto.
À la longue, les doigts prennent confiance, ils se
placent au bon endroit. Les mains se coordonnent, les accords s'enchainent. On
entend de moins en moins le garçon qui laboure, et de plus en plus une mélodie.
Les mains ont mémorisé une quantité de détails techniques, elles savent où elle
vont.
Quelque chose de transversal s’ajoute au jeu. Les notes
sont liées. Elles sont jouées en fonction des précédentes et des suivantes. Le
début annonce la fin, c'est le rythme. Il lie les éléments verticaux en
ajoutant une couche horizontale. L’ensemble prend la forme d’un tissu.
L’origine du mot texte est tissu, écrit le sémiologue français
Roland Barthes, dans un article de 1972, paru dans l'Encyclopédie Universalis.
J’ai appris ça la semaine passée.
J'aimais bien Roland Barthes. Le genre de prof avec qui
tu as envie de prendre un pot ou quatre. Un intellectuel qui avait l’air
sympathique. Il me donnait l’impression de savoir à quoi ressemblait sa mère.
Ce n’était pas le cas de Sartre ou de Foucault. Par contre, je n'ai jamais
compris de quoi à la sémiologie, trop rationnelle, loin de l'essence du mot.
L'idée du tissu est particulièrement belle et brillante.
C’est un système à double entrée. Des fils verticaux. Des fils horizontaux.
Le Mali est passé maître en matière de tissus. Ils sont
tout simplement magnifiques, avec leurs motifs et même, sans. Comme si ce
n’était pas assez, les teinturières maliennes y appliquent des couleurs. On en
parle dans toute l’Afrique et aussi loin que dans un Mac mini à Montréal. Les hommes et
les femmes du Mali sont magnifiques. La couleur du tissu, c’est le talent.
Est-ce le tissu qui fait la femme ou la femme qui fait le
tissu ? Chaque fois que mes filles me demandent si leur ‘outfit’ est beau,
je réponds invariablement c’est ma fille qui est belle. De même, c’est le
guitariste qui fait le texte. Lorsqu’il imprime son rythme et son style à la
musique, il lui donne sa couleur.
J’ai compris l’écriture dans la trentaine. A force de
gosser des textes publicitaires, j’ai commencé à en écrire d’autres, et je me
suis trouvé en terrain connu. Je suis passé par les mêmes étapes dans le texte
écrit que dans la musique. Les mots, les phrases, le tissu, la couleur.
Un texte bien écrit se lit comme de la musique. Une fois
sur papier, cela s’appelle un imprimé.
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