dimanche 10 mars 2024

Catastrophes

 

J’ai l’impression de vivre une Shoah en direct.


Shoah, en hébreu, veut dire catastrophe.


Elle désigne l’élimination systématique d’hommes, de femmes et d’enfants de religion juive.


Ces gens étaient emmenés en train vers des camps d’extermination.


Un camp d’extermination est un territoire enclavé.


L’idée, c’est de ne pas en sortir vivant.


Nakba, en arabe, veut dire catastrophe.


Elle désigne, en 1948, l’exil forcé de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants palestiniens.


La guerre est toujours une affaire de territoire.


Les cinq derniers mois dans la bande de Gaza.


Les 75 dernières années d’occupation de la Palestine.


L’histoire de l’humanité.


Mon ami Jean-Pierre se dit gêné d’être un humain.


La bande de Gaza est un territoire enclavé.


L’extermination se déroule sous les bombes. L’idée est toujours la même, ne pas en sortir.


Il y a dans le discours une recherche de supériorité.


L’autre est un animal, une coquerelle, de la vermine.


On s’en débarrasse d’un coup de pied.


L’aveuglement volontaire fait partie de la nature humaine.


La catastrophe vise l’autre dans sa citoyenneté, mais elle tue l’humain.


Visa le noir, tua les deux.


Ce sont des femmes, des hommes et des enfants. Des mères, épouses, soeurs, tantes, pères, oncles, fils, petites-filles.


La liste est identique dans les deux camps. Seuls les vêtements changent. Certains font la fête. D’autres coupent des barbelés.


Une famille est une famille. Une barbe à raser est une barbe à raser. Un enfant qui joue est un enfant qui joue. Une idéologie est une idéologie.


Un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle, dit la sagesse africaine.


Juifs et musulmans ont vécu ensemble pendant plus de 1000 ans.


Il y a dans la solution une recherche d’égalité.


Je ne sais pas comment on dit « catastrophe » en tutsi, en arménien, en ouïghour ou en ukrainien.


Le résultat est le même.


La Shoah raye la vie du territoire.


La Nakba raye le territoire de la vie.


À part la technique, rien n’a évolué depuis la nuit des temps. Le direct donne une impression de jamais vu. Et pourtant.


La guerre et la bêtise sont deux mots masculins.


Une catastrophe est un territoire où on manque d’air.


Les gens catastrophés autour de moi ont un point en commun.


Ce sont des femmes et des hommes.


Il n’est pas nécessaire de le dire aux enfants.





lundi 19 février 2024

Lecture sans mots


Un monsieur pragmatique est-il sensible aux symboles?

Je parle de François Legault, premier ministre du Québec.


Un monsieur pragmatique voit les choses au ras les pâquerettes. C’est la définition du pragmatisme. Je suis un homme de terrain. Mes spécialités: le gazon, les mauvaises herbes et les pâquerettes.


Il s’agit de la négociation entourant l’accès d’Hydro-Québec aux ressources naturelles, sur le territoire Innu de Pessamit.


Le territoire autochtone n’est plus un bar ouvert.


Une épreuve de patience pour un monsieur pragmatique pressé.


Le nuage, c’est bon pour les éoliennes.


En cueillant l’énergie dans les nuages pour la mener à la terre, l'éolienne lie le rêveur et le pragmatique.


Recevoir en cadeau un tomahawk d’une jeune Innue de la communauté de Pessamit est un symbole.


Un outil de mort pour la paix.


Difficile d’être plus terre-à-terre.


Un signe de confiance de la part d’une communauté autochtone est un geste de bienvenue.


C’est une rencontre de nation à nation.


Le premier ministre du Québec et la cheffe du conseil de bande de Pessamit.

Le président d’Hydro-Québec et la communauté Innue.


Le pragmatique et le guerrier.


Dans une chronique à RDI, le chroniqueur Michel David, du journal Le Devoir, dit que les autochtones ont le gros bout du bâton.


Le bâton s’appelle tomahawk. Un bâton dans ma main, une pierre dans ta tête.


Les peuples autochtones ont toujours été cohérents dans leurs revendications. Ils n’ont jamais dévié d’un iota.


Nous n’avons jamais cédé notre territoire. Vous n’avez pas tenu vos promesses. This is Indian land.


Voilà une occasion en or pour un monsieur pragmatique de fermer ses oreilles et d’ouvrir son corps.


Depuis six ans, ma fille Camille travaille avec des femmes de communautés autochtones.


Elle a reçu plusieurs marques de confiance de femmes Inuites et Innues.


Expliquer le pourquoi ne s’explique pas.


C’est une attitude.


Camille l’a.


Le symbolique est une lecture sans mots.


Il pénètre tout le corps, sauf les oreilles.


La vraie réconciliation est peut-être en marche.


La suite dépend de notre lecture.






lundi 12 février 2024

Lettre à Bernard Drainville

  

Bonjour monsieur Drainville,

 

J’ai envoyé une offre de services comme enseignant non-légalement qualifié, pour donner des cours de français, au Centre de services scolaires de Montréal (CSSDM).

 

J’enseigne la rédaction professionnelle à l’Université de Montréal, depuis 2011.

 

Mes évaluations d’enseignement pourraient faire rougir un jus de tomates.

 

J’ai écrit deux livres sur la rédaction professionnelle.

 

Je suis titulaire d’une maitrise en communications de l’UQAM.

 

J’ai passé ma vie professionnelle en tant que concepteur-rédacteur publicitaire dans les principales agences de publicité.

 

Je suis tombé dans l’accord du participe passé quand j’étais petit.

 

J’aime transmettre ce que j’ai appris à la jeune génération.

 

Mon offre a été refusée.

 

Je suis moins bon que le moins bon des enseignants du CSSDM.

 

Je comprends pourquoi le CSSDM ne trouve pas d’enseignants.

 

Je comprends surtout pourquoi les enseignants ne veulent pas y retourner.






 

mercredi 31 janvier 2024

Soupe aux lentilles

 


Des activistes lancent de la soupe sur une vitre, au musée du Louvre.


Émoi à travers le monde. Derrière la vitre se trouve « La Joconde », de Léonard de Vinci.


Les médias disent que le geste visait la toile.


Tout le monde sait que si on lance de la soupe sur la Joconde, elle s’arrête sur une vitre blindée.


J’y suis allé, je vous l’aurais dit.


« Voir » la Joconde est grand mot. On l’aperçoit.


Il faut faire la file. Arrêter devant la toile quelques instants. Repartir.


La vitre impressionne autant que la toile.


La pièce, la foule, les gardiens, la Joconde, le blindage, font l’événement.


Une paranoïa.


Les activistes ont lancé la soupe au visage des caméras.


De la soupe aux lentilles.





mercredi 17 janvier 2024

La tour


Je connais les mots pour décrire la curiosité.

Milán. Milano. Tilou. Petit poulet.


Lorsqu’il m’a tendu les bras, ce n’était pas pour faire des gazous dans ceux de son grand-père.


Une fois en hauteur, Milano a pointé du doigt la poêle dans laquelle son père faisait frire des œufs.


Cinq œufs. Quatre tournés et un brouillé. Celui de Milano.


Plus je m’approche de la poêle, plus le petit penche le corps vers l’avant.


Les yeux vissés dans les œufs.


Le verbe frire ne se conjugue pas au pluriel. On n’écrit pas Les oeufs frient. Les oeufs sont en train de frire.


Le son de friture est le même que celui d’une douche ou de la pluie. Un son blanc.


Les yeux de Milano sont de couleur feu.


La curiosité est un volcan.


Il est rivé à ses oeufs et moi, à ses yeux.


Milano a 16 mois. Dans la cuisine chez lui, il monte les trois marches d’un petit escabeau en bois.


L’escabeau s’appelle une tour. Une tour pédagogique, dit la notice. C’est fou, ce qu’on peut faire dire aux mots pour les mettre en marché.


Le pédagogique n’est pas la tour, mais ce que l’enfant en fait.


Un jour, sur un bateau d’excursion, ma jeune fille s’est amusée pendant une heure et demie avec un contenant de jus vide et une paille.


Elle a créé un jouet en jouant avec.


Le contenant ne contenait pas de jus pédagogique.


Une tour imaginaire rapproche des nuages. Comme la proue du bateau rapproche de New York.


Une tour de trois marches élève la curiosité.


Ces trois marches n’appartiennent qu’à Milano.


Du haut de son perchoir, il observe le monde au même niveau que ses parents. Il se tient debout, protégé par une petite barrière.


Sans les marches, Milano aurait attendu six ans pour atteindre ce niveau.


Dans mes bras, il se tient à hauteur de 18 ans.


Tilou observe sa mère préparer des panais.


Milano donne un coup de pouce à son père pour démarrer la cafetière.


Trois marches pour atteindre un moment précieux en famille.


Nous allons manger.