vendredi 29 janvier 2016

Bavardons un peu



Bavardons un peu pourrait être le titre d’une rubrique du mensuel américain Reader’s Digest. Du genre Rions un peu ou Je suis le rein de Georges. Mais non. Bavardons un peu est inspiré du titre d’un livre. Ce titre tient sur quatre lignes. Sapiens traverse la couverture sur toute sa largeur. Une brève est la deuxième ligne ; histoire, la troisième ; de l'humanité, la quatrième. En un coup d’œil, cela donne Sapiens, une brève histoire de l'humanité.

Le nom de l'auteur, Yuval Noah Harari, est inscrit sur une ligne, comme une marquise au haut de la couverture.

Wiki dit que Yuval Noah Harari est professeur d’histoire et Juif. Je préfère penser qu'il est Israélien. J’aime bien l’identité du territoire, le monsieur est Israélien. L’identité par la religion est un terrain glissant, on ne sait jamais où on atterrit. L’identité par le territoire est laïque et la laïcité est un terrain sûr. Et puis, la religion, comme l'orientation sexuelle, fait partie de l'intimité, en ce qui me concerne.

Nous sommes donc en plein dans le sujet du livre.

Selon Harari, le bavardage serait responsable du développement du langage et, partant, de Sapiens tout court. Le bavardage est la pratique d'une conversation, dans un contexte où les participants sont supposés se concentrer en silence sur une autre activité (merci Wiki). C’est Sapiens qui cause fleurette à Sapienne pendant qu’il cueille des figues. Trente ans plus tard, c’est la même Sapienne qui parle à Sapiens pendant qu’il écoute son hockey. De nos jours, Sapiens porte des écouteurs blancs et bavarde tout seul en marchant sur le trottoir.

Ainsi, lorsqu’ils se réunissaient au resto ou au bingo, les Sapiens discutaient non pas de physique nucléaire, mais plutôt de passe-moi le beurre, de comment vas-tu-yau-de-poêle ou encore, as-tu vu la belle Sapienne ? Le bavardage a probablement vu naitre la toute première blague de l’humanité, il s’est fait passer un sapiens.

Le bavardage est efficace dans des groupes comptant jusqu’à 150 individus. Au-delà, le groupe devient difficile à contrôler et le bavardage ne fonctionne plus. La fiction prend le relais.

La fiction - la religion, les mythes, les rumeurs, les fantômes - rallie de plus grandes masses. Ainsi, un Sapiens catholique de Longueuil peut causer à un autre Sapiens catholique de Los Angeles. La croix, la montagne, l’eau et le vin sont universels, à la condition de parler l’anglais.

La fiction, c’est aussi l’inconnu et la peur. De nos jours, les médias diffusent énormément de fiction. La peur des terroristes qui vont nous tirer dans nos maisons, la peur du virus Zika, la peur de. Mais c’est une phrase bien réelle qui a fait allumer un voyant vert pour lire ce livre : L'histoire a commencé quand les hommes ont inventé les dieux. Exactement ce que je pense, mais en silence, car la religion fait peu partie de mon bavardage.

Si j'avais eu à écrire la phrase, cela aurait donné : la religion est la plus belle invention des hommes pour dominer les autres hommes. Cela inclut évidemment la femme. En fait, la plus grande occupation de l'homme, c'est le contrôle du corps de la femme, du pimp au pape.

Sapiens est le genre de livre à mariner. Tu lis 15 pages et tu marines. Dans le genre, Les découvreurs, de Daniel Boorstin. Un livre qu'il a mis 20 ans à écrire sur le comptoir de sa cuisine. Boorstin relate les grandes découvertes de l’humanité, l’astronomie, le temps, la géographie, les mathématiques. Il ne parle pas de l’invention de la cuisine. On la doit certainement aux Sapiens. Pour bavarder, il fallait bien une cuisine, c’est le sanctuaire du bavardage.

Voyez les commères dans une ruelle. Elles bavardent, tout en étendant du linge sur la corde. Le linge est l’alibi parfait pour commérer. Pendant que la bouche parle, les yeux silencieux fixent les pinces à linge. Les commères sont des langues occupées. Le commérage est l’étendage du bavardage.

Maintenant, imaginez des commères sans corde à linge, accotées sur le balcon, avec rien d'autre à faire que de s'envoyer des potins de chaque bord de la ruelle. Elles auraient l'air de langues sales. Autant en emporte le vent est un lien très intime, liant la corde à linge et le commérage. Le linge donne au commérage ses lettres de noblesse. Merci Michel Tremblay.

Mais l'argument choc de Sapiens n'est pas là. On ne s’étonne pas de ce que les réseaux sociaux aient été inventés par Sapiens. On s’étonne de la quantité de légèretés qui s’y bavardent. Voilà ce qui se passe quand on écrit en regardant ailleurs.






samedi 16 janvier 2016

Benoît




La dame voulait acheter un piano à queue pour y déposer une plante. Benoît a dit oui et a livré lui-même le piano à la dame. Une fois chez elle, il dit à la dame, ce serait beau une harpe dans le coin.

En revenant au magasin d'instruments de musique Italmélodie, sur Jean-Talon, Benoît appelle un collègue. On vend-tu des harpes? Non, dit l'autre. Je viens d'en vendre une, 8 000 $. Quand Benoît me raconte l'anecdote, il est gamin.

La harpe était belle ce soir. Elle était accompagnée d'un quatuor à cordes, d'une flute et d'un hautbois, au concert Transatlantique, à la salle Bourgie du Musée des Beaux-arts de Montréal. Je n’avais jamais entendu Introduction et allegro, et pourtant, j’ai reconnu Maurice Ravel. La harpiste nous faisait voguer sur la mer et je pensais à cette anecdote de Benoît, comme chaque fois que je vois une harpe.

Il y a toujours eu de la musique dans la famille de mon père. Notre ancêtre, Claude Panneton, le premier débarqué ici, vers 1685, jouait du fifre. Ma grand-mère, Germaine Caron, était soprano colorature et jouait du violon. Mon grand-père Joseph-Arthur était ténor. Ma marraine, Édith, jouait du Chopin à l’oreille. Papa avait une voix de basse. Tous les frères et sœurs, Madeleine, Jean, Robert, Guy, Jacqueline et Benoît, chantaient. Benoît était un grand amateur d’opéra. Il a vendu des pianos toute sa vie.

Quand j’étais petit, il venait parfois à la maison. Il jouait aux cartes et me demandait laquelle jouer. Tout ce que je savais, c’est que j’étais amoureux de cet oncle.

Un jour, il a organisé un concert à l’église de Yamachiche pour la compagnie Wurlitzer. L’invité d’honneur, un évêque, ne savait plus arriver. Benoît s’est installé au clavier et a joué, en attendant l'arrivée de l'invité.

Papa était l’ainé des garçons et Benoît, le plus jeune. Quand papa a quitté la maison, il avait 14 ans, Benoît était bébé. Et quand mon grand-père est mort, Benoît était tout jeune. Tout jeune, c’est un peu plus vieux que bébé.

Un soir, dans sa maison de Yamachiche, Benoît a demandé à papa s’il ressemblait à leur père. Papa a répondu qu’il avait toujours voulu lui ressembler. L’affection entre deux frères est un cadeau de la vie.

Un 4 janvier, Benoît m’a appelé. Le médecin lui donnait trois ans maximum. Quand je suis arrivé à l’hôpital, deux mois plus tard, je l’ai reconnu à son regard. Il m'a dit qu'il m'aimait. Moi aussi, Benoît.





vendredi 8 janvier 2016

La version du silence




Depuis le 4 janvier, je ne reçois plus l’édition papier du quotidien La Presse. Du lundi au vendredi, ce journal est désormais publié sous sa forme numérique, La Presse+. Jusqu’ici, je n’ai touché à rien, le temps de voir ce qui change dans ma vie.

En devenant La Presse+, La Presse est passée du papier à la télé. Télévision : mot composé féminin, de télé (loin) et vision. Pour y avoir accès gratuitement, je dois acheter une tablette numérique. C’est comme si je devais acheter une télé pour écouter Radio-Canada et une pour TVA. Pas tout à fait, La Presse+ est un nouveau média, quelque part entre l’ordinateur et la télé. Si j’achetais une tablette, ce serait uniquement pour lire La Presse+. Je passe du temps devant un écran parce que j’y suis obligé.

Premier constat : le silence. Lire le journal papier le matin est un précieux moment de silence passé avec soi-même. C’est comme repasser du linge, mais en s’informant. Ma première réaction serait de remplacer le papier par la radio, entre Alain Gravel et Paul Arcand. Pour l’instant, je préfère le silence.

Deuxième constat : ai-je besoin de La Presse pour m’informer ? J’aime La Presse pour savoir ce qu’Yves Boisvert, Vincent Marissal ou Philippe Cantin pensent. Pour m’informer, je n’ai qu’à faire comme tous les matins quand j’ouvre l’ordi.

La journée démarre et se déroule en butinant sur lemonde.fr, lecourrierinternational.com et radio-canada.ca. Le soir, je regarde le téléjournal de Radio-Canada, à 18h, et je n’apprends rien. Je vais simplement voir comment Patrice Roy traite les nouvelles. À 18h15, le téléjournal est fini en ce qui me concerne. Prochain rendez-vous, le 24/60 à RDI, 20 minutes max.

Le téléjournal est monté comme un documentaire ou un reportage. Il livre l’essentiel dans les 15 premières minutes. Le reste est du développement.

C’est comme si on me disait, l’évolution, mon beau garçon, c’est de passer dorénavant tes journées devant un écran. Entre 5 et 7, avec La Presse+, le jour devant l’ordi et l’iPhone, pour travailler, et le soir, la télé classique pour les infos et le divertissement.

Dans ses arguments de vente, La Presse+ dit que son abonnement est gratuit. Croire cela, c’est croire que l’accès aux soins médicaux est gratuit au Québec. Les soins médicaux sont payés par nos impôts. Lorsqu’Hydro-Québec fait de la pub dans La Presse+, j’en paie une partie par mes impôts. Idem avec Volkswagen, sa pub est payée en partie par les versements de ma Jetta, et ainsi de suite.

En fait, La Presse+ coute cher. En plus de la tablette, chaque fois que je voudrai avoir accès à une information publiée par ce quotidien, je devrai payer. L’innovation de La Presse+, c’est la connaissance complète des habitudes du lectorat à l’intérieur du média.

Pour l’instant, je ne m’ennuie pas de La Presse. Dans le cahier A de l’édition du 27 novembre, j’ai compté l’équivalent de 18 pages de pubs sur 33, soit 55 %. Dans le cahier A de l’édition des samedi 26 et dimanche 27 décembre, l’équivalent de 20 pages de pub sur 34, soit 59 %.

Le vrai changement ne consiste pas de passer de La Presse à La Presse+. Le vrai changement consiste à passer de La Presse à rien.

Pour l’instant, je réfléchis à la façon d’occuper mon silence du matin, entre 5h à 7h. Il y a Le Devoir version papier, Josée Legault, Hélène Buzzetti, Michel David. Il y a des livres de Serge Bouchard qui me regardent. Il y a une planche à repasser.

La Presse+ est l’avenir de La Presse. Le numérique est l’avenir de la télé et de la radio. Le papier est la version imprimée du silence.





samedi 2 janvier 2016

Le vaisseau de pierre





J'ai piqué le titre de Pierre Christin et Enki Bilal. Leur vaisseau de pierre, c'est le village breton de Trehoët, qui décide de lever le camp, pour éviter l'invasion de promoteurs immobiliers. Les villageois emportent avec eux toutes leurs racines, le château, les maisons, le cimetière, les ancêtres.

Mon vaisseau de pierre, c'est la vieille ville de Québec. J'y suis allé très souvent, mais jamais comme hier soir. Dans l'hiver, il ventait à écorner les boeufs. Un vent pas normal. Un vent qui vient te chercher pour t’emmener par-dessus bord. Je me sentais sur un bateau. Pas un endroit dans les rues, le long des murs, pas un recoin qui n'échappe au vent.

Sur la terrasse Dufferin, le vent tombe comme des masses d'eau. Il dispose d’un immense espace pour prendre son élan. Il sent le fleuve.

La dernière fois que j'ai senti un tel vent, c'était à Niamey, au Niger. Il était poussé par l’espace du Sahara. Son poids transformait les arbres en pierre, avant qu'ils ne tombent en poussière.

Dans 1000 ans, j’imagine que le vent aura patiné les murs de Québec. Les pierres arrondies de la grande façade offriront de nouvelles courbes aux yeux des visiteurs, comme des sculptures inuit. Ce sera la courbe de l'érosion, un compromis entre la pierre et l’environnement.

La courbe de la pierre donnera à la ville de Québec un look autochtone, comme un retour de l’histoire. Il faut savoir que la rencontre des autochtones et des Français relève des mathématiques. C'est la rencontre du consensus et de la pyramide, du cercle et du triangle. Dans mon esprit, la pyramide entre dans le cercle et pas l'inverse. La courbe est le devenir de la droite.

Je n'ai jamais compris de quoi aux mathématiques, jusqu'à ce que je lise que l'algèbre enseigne les égalités et la géométrie, les inégalités. La formule serait du philosophe français Michel Foucault. J'ai eu l'impression ce jour-là de tout comprendre des mathématiques.

L'inégalité est la plus prometteuse. Elle est le fondement même de la justice. Chez les autochtones, la notion de justice est communautaire, le consensus suit la forme du cercle. L'inégalité, c'est la couette qui dépasse. C'est le rebelle qui alimente toute la littérature. L'inégalité est vivante et la beauté est courbe.

Voyez le magnifique édifice au nom laid de Musée canadien de l'histoire, à Gatineau. Ses courbes sont sorties tout droit de la pensée autochtone. Il portait avant le nom de civilisation, tellement mieux adapté à son architecture.

Québec est un joyau de la Couronne dans un écrin de pierre. Avec ses nouvelles courbes, elle deviendrait plus érotique, car l'érotisme est la cousine de l'érosion. L’érosion enlève le superflu pour aller à l’essentiel.

Les courbes sont les réponses de la nature aux travaux de l'homme. Y a des jours de plaines, dans les nuages, on voit la mer, chante Daniel Lavoie. Il aurait aussi pu dire dans la pierre, il y a le vent.