James Brady a pris une photo. C'est un arbre dans la
brume. James dit que la photo a été prise en Gaspésie. Je n’en suis pas certain.
Cette brume est celle de mon enfance. Et en matière de brume, un enfant ne se
trompe pas.
La brume, c'est la première chose que voit l'arbre en se
réveillant le matin. C'est pour cela que celle de James est dans des tons de
vert. Cette brume chlorophylle a l'air confortable comme une robe de chambre. On peut penser
que la photo a été prise par un adulte. Je crois plutôt qu’elle a été prise par
un arbre qui se réveille. Ce pourrait être un autoportrait.
Notre chalet à La Conception était situé dans la vallée
de la Rouge, un vrai spot à brume. Le chalet avait la forme d'un T. Dans la
barre du T, à gauche, c'est la cuisine, avec une table en pin pour 12 personnes.
À droite, ce sont quatre chambres à coucher et, au fond, la chambre des maîtres.
Dans la barre verticale, il y a au milieu, à droite, la
salle de bains avec, en face, la chambre des garçons, quatre lits superposés.
Au bout de la barre, le grand salon tout vitré, avec un foyer en pierre des
champs imaginé par mon père.
Ainsi, quand j'étais dans la cuisine, en haut à gauche, il
arrivait que je ne voie pas le bout du pied du T, tellement il y avait de la
brume. À ce moment, la longueur du chalet devenait infinie. Elle s'enfonçait
dans la brume, on n'en voyait pas le bout. La meilleure façon de visiter la
brume était de courir au bout du salon.
Il arrivait que nous partions en auto avec papa, tôt le
matin. Je voyais à peine les lignes blanches peintes sur la route, devant le
capot. Mais ce n'était pas angoissant, papa conduisait.
C'est le secret de la brume. Alors qu'on croit ne rien y
voir, elle offre l'infini. La brume est la porte de l'imagination.
Dans celle de James, on devine la forme de l'arbre et de
quelques débris. Je soupçonne James de vouloir nous montrer un arbre nommé
désir. Pour l'enfant, c'est un arbre à brume. Dans la vie, l’imagination se
manifeste avant le désir.
James Brady enseigne le cinéma au
collège Rosemont. Mais sa bulle, c’est la photo. À voir ses photos, vous
pourriez penser que James est un peintre frustré et vous auriez raison. Il
peint ses photos comme un peintre sa toile, souvent avec des surimpressions.
Parfois, il sait exactement où le cliché va le mener. D’autres fois, son
intuition fait le travail à sa place.
Il y a une magie dans cet arbre:
vous le touchez https://nicephart.wordpress.com/
et il apparaît.
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