Dominic est né à Montréal, à l’âge de 8 ans. Quand on
vient du Grand nord à Montréal à cet âge, ce n’est pas pour des vacances. Traitements
médicaux, hopital, dépaysement, résistances. Il a rencontré Margaret puis,
Jean-Pierre. Plus tard, c’était notre rendez-vous annuel à St-Côme, jouer
dehors avec nos jeunes. Une trâlée de monde aussi mélangée dans le chalet que
les bottes dans l’entrée. Jean-Pierre et Margaret ont débarqué avec Dominic.
Quaqtaq est
tellement loin au nord, certains appellent ce village « Three Qs ».
Quand vient le temps de couper court, la langue trouve son chemin. Avec ses 300 habitants, Quaqtaq peut entrer dans une
salle de billard. C’est à 2400 kilomètres au nord de nous, sur le bord
de la baie d’Hudson. Encore un peu, le doigt sort du cadre. Là bas, le vent
souffle du nord au sud ou du sud au nord.
Dominic est arrivé un peu comme un chien dans un jeu de quilles.
Il était Inuit, ce qu’il est toujours. Il était imposant. Ce qui le faisait
rire faisait peur à nos jeunes. Il avait en lui une agressivité venue du nord. La
guitare l’a calmé, comme une pilule nouvelle.
Avec le temps, Jean-Pierre est devenu son père et
Margaret, sa mère. Depuis quelques années, Samia est sa soeur. Charlotte correspond
régulièrement avec lui. Charles, Brigitte, Louis, Pablo, Roxanne, Béatrice,
Patrice, Joanne, Jacob et Laurent, Benoit, Anamaria, Éliana, Philippe, Richard,
Josée, Alexis et Julia, Stéphanie, Louis Karim, Camille, Micheline et moi,
sommes devenus sa famille. Tribu, dirait Samia.
St-Côme, mi-février de n’importe quel hiver. Le sourire
fendu aux oreilles, tout en sueurs, Dominic joue au hockey en t-shirt, à 20
degrés sous zéro. Son corps fume comme un sauna. St-Zénon, au printemps. Il nage
des heures entre les blocs de glace dans le Deuxième lac Rondeau. Ses 330
livres de l’époque assurent une certaine protection. L’iceberg et l’ours blanc
sont les frères de l’Inuit. Avec le temps, Dominic et nous avons formé un igloo.
Dominic a maintenant 30
ans. Il vient de passer deux semaines à Montréal. Il soigne son alimentation et
a fondu de 70 livres en un an, la balance arrête à 184. Il a remplacé dans sa
vie les tonnes de chips, de cochonneries et de Coca-Cola, par de petites
quantités de chips, de Coca-Cola et de cochonneries. Il peut croiser ses
jambes. Il fait maintenant de longues marches. Au menu, famille, Coca-Cola, Schwartz’s,
camping, Coca-Cola, spectacles, la 4 par la 2 au coin.
Je soupçonne
que la vraie raison de sa visite cet été, ce sont les hamburgers de Brigitte.
Il en a enfilé quatre, dont un piqué dans l’assiette de Jean-Pierre. Chez
Jean-Pierre et Samia, il s’est calmé : deux hamburgers et trois hot dogs.
Hier,
Dominic a parlé à Camille au téléphone. Elle voulait lui dire allo, avant de
partir pour la France. Il a aussi parlé à Louis Karim, pour son cadeau, deux
verres identifiés Coca-Cola. Il ne nage plus
entre les blocs de glace et ne joue plus au hockey en t-shirt, « it’s too
cold ».
Dominic se fait généralement comprendre par une phrase
courte. « Yes », « Coca-Cola », « I like this »,
ou « I hate this hospital ». Ou ses réponses, « My grandfather
was nomadic ». « My father was sedentary ». « I live in my
appartment ». Des millénaires d’histoire en quelques mots.
Depuis des milliers d’années, les grands-pères de Dominic
ont parcouru la banquise en traîneau. Ils étaient membres de la nature, comme la
neige et le froid. L'ours sous la neige, l'Inuit dans son igloo et le morse
sous la glace, colocs de l’équilibre.
Dominic est devenu Canadien par la force des choses. Dans
les années 50, le gouvernement canadien a décidé de sédentariser les Inuit, de
les regrouper en villages. Il fallait démontrer l’appartenance du grand Nord au
Canada. Pour les aider à comprendre, la GRC a abattu des milliers de
chiens d’attelage (merci Wiki). Cela s’appelle couler les pieds du nomade dans
le ciment. Une mort à petit feu, une instrumentalisation. Poussons un peu, un génocide
culturel, une spécialité canadienne.
Le thermostat de Dominic sépare l’Inuit de sa nature. Le
thermostat ne donne pas seulement de la chaleur, il apprend à avoir froid. On a
remplacé l’horizon infini par quatre murs en gyproc. C’est la même couleur,
mais en moins infini. Les peuples de la banquise ont-ils déjà eu froid ? Il faut être européen pour venir mourir de froid ici.
Être Canadien pour un Inuit, ça veut dire prendre
régulièrement ses médicaments, rencontrer un travailleur social et acheter une
batterie de cuisine. Ça ne se trouve pas dans un igloo. C’est aussi sortir
d’une salle de billard, rue Mont-Royal, et saluer trois Inuit quêtant sur le trottoir.
Dominic est devenu un jeune homme. C'est un grand pas
dans l'histoire de l'identité. As-tu un nom Inuit, Dominic? Tamini. Tamini Tukkiapik. Why didn’t you tell us
your name is Tamini ? You never asked. De Tamini à Dominic, c’est la fin
des millénaires.
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