Causerie au café-bar La Brunante, Université de Montréal, sur les 25 ans de la réforme de l'orthographe.
53% de la population du Québec est analphabète fonctionnelle. Cela veut dire que 53% de la population du Québec n’est pas en mesure de lire les lettres ou de reconnaître les mots. Que 53% de notre population ne peut s’instruire à partir d’un texte. Cette statistique est extraite d’une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée en novembre 2013, et commentée le 11 novembre 2013 par le chroniqueur Alain Dubuc, dans le journal La Presse. Plus de la moitié de nos concitoyens n’est pas en mesure de lire cette étude. Dans ce contexte, parler de la réforme de l’orthographe me semble un projet irréel. Un plus grand défi nous attend.
53% de la population du Québec est analphabète fonctionnelle. Cela veut dire que 53% de la population du Québec n’est pas en mesure de lire les lettres ou de reconnaître les mots. Que 53% de notre population ne peut s’instruire à partir d’un texte. Cette statistique est extraite d’une étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée en novembre 2013, et commentée le 11 novembre 2013 par le chroniqueur Alain Dubuc, dans le journal La Presse. Plus de la moitié de nos concitoyens n’est pas en mesure de lire cette étude. Dans ce contexte, parler de la réforme de l’orthographe me semble un projet irréel. Un plus grand défi nous attend.
L’analphabétisme
est le scandale du Québec moderne, pourtant né du projet d’une renaissance de
l’Éducation. Le Québec est une société distincte, dont plusieurs pensent
qu’elle est capable de diriger elle-même sa destinée. La majorité des membres
de cette société n’est pas en mesure de mettre un X dans la bonne case sur un
bulletin de vote. Cinquante ans après la Révolution tranquille, voilà que plus
de la moitié de la population n’a pas franchi les portes des institutions
d’enseignement nées dans les années 60, justement pour lui permettre d’avoir
accès aux lettres, aux nombres et aux idées.
Dans mes
cours de Rédaction en communications publiques, au Certificat en rédaction, je
dis à mes étudiants que la majorité de leurs concitoyens ne lira jamais leurs
textes, elle n’en a pas les moyens. Du 47% restant, une grande majorité ne s’y
intéressera pas non plus. Nous écrivons donc pour une minorité. De là à dire
que nous écrivons en vase clos, il n’y a qu’un pas. Les alphabètes sont des
privilégiés.
L’ignorance
des années 60 a fait des héritiers. Tous les gouvernements qui ont succédé à l’équipe du tonnerre du premier ministre
libéral Jean Lesage, ne sont pas allés plus loin. Que les premiers ministres
soient avocat, chirurgien, journaliste ou millionnaire, que les partis soient
libéraux, québécois ou d’union nationale, force est de constater que les
lettres circulent encore aujourd’hui en circuit fermé. Avec 47% d’alphabètes,
la note de ma société distincte est E.
Je me suis
intéressé à la nouvelle orthographe il y a un an, suite à une question d’une
étudiante. J’y ai vu des propositions de changements intéressants.
Quand j’ai
vu que la réforme de l’orthographe n’était pas imposée, mais recommandée , je n’ai pas été surpris. Une
société qui laisse une majorité de ses citoyens dans l’ignorance de sa langue écrite
est tout à fait cohérente lorsqu’elle ne rend pas obligatoires les
modifications qu’elle y apporte. Si je ne t’apprends pas à lire, pourquoi
devrais-je t’intéresser à la nouvelle virgule?
La
ponctuation est à la phrase ce que la signalisation est à la route. Elle nous
indique les arrêts, les pauses, les montées de lait et le calme. Dans la même
veine, la grammaire et l’orthographe tracent la route et le temps de la route.
Non seulement nous disent-elles par où nous allons passer, mais aussi comment
et quand.
Armand
Marier, de Brébeuf, dans les Laurentides, ne savait ni lire ni écrire. Il était
de l’ère d’un début de siècle, où l’homme défrichait sa terre. À cette époque,
la littératie ne passait pas par les lettres, mais par le savoir-faire. Elle
voisinait davantage les scies et les haches de bûcherons que les bréviaires et
les romans. Armand Marier savait pourtant très bien lire la nature, les chevaux
et les hommes. Pour connaître la météo du lendemain, il touchait l’herbe et
regardait le ciel. Quand il arrivait dans le champ, un claquement de bouche
suffisait pour que les chevaux marchent en file dans son sillon. Et quand il
parlait aux hommes, les hommes écoutaient.
Il y avait chez Armand Marier une forme de poésie dans l’ignorance. Toute sa connaissance passait par le ton de sa voix et le poids de ses mots. Toute la connaissance de l’homme qui a passé sa vie à lire le vent et la forêt. Lorsque monsieur Marier s’adressait à la nature, aux chevaux ou aux hommes, il n’y avait pas de virgule dans son esprit pour séparer les éléments. Et pourtant, aucun livre n’aurait pu contenir tout son savoir. Il aurait d’abord fallu trouver une plume pour l’écrire.
Il y avait chez Armand Marier une forme de poésie dans l’ignorance. Toute sa connaissance passait par le ton de sa voix et le poids de ses mots. Toute la connaissance de l’homme qui a passé sa vie à lire le vent et la forêt. Lorsque monsieur Marier s’adressait à la nature, aux chevaux ou aux hommes, il n’y avait pas de virgule dans son esprit pour séparer les éléments. Et pourtant, aucun livre n’aurait pu contenir tout son savoir. Il aurait d’abord fallu trouver une plume pour l’écrire.
La langue
écrite est une route de l’imaginaire. Chacun de nous sait où débute son texte
sans nécessairement savoir où il finira. La grande force de l’écrit, c’est qu’il
reste. Que penser de ces écrits qui ne resteront jamais parce qu’ils n’auront
jamais été?
Mon
apprentissage du français a toujours été une obligation du par coeur. Nous
avions des cours obligatoires à l’école. Les conjugaisons, la grammaire,
l’orthographe et les accents étaient du par coeur; l’analyse était du travail.
L’accent circonflexe sur le mot hôtel était obligatoire, comme le passé simple
du verbe tenir. Le jour où mademoiselle Méthot m’a sacré une claque derrière la
tête pour avoir écrit je tenai au
lieu de je tins, j’ai appris le sens
du mot travail.
Si nous
voulons que les notions restent, il faut les travailler et les faire travailler.
Il faut d’abord s’y intéresser nous-mêmes. Si nous n’apportons pas une forme
d’obligation dans l’écriture de notre langue, le premier réflexe humain sera de
regarder ailleurs.
La langue française
n’est pas une priorité au Québec. Tout au plus agit-elle comme faire-valoir distinct
devant nos voisins anglos-saxons. La langue française sert la politique au
Québec et elle se fait sur le dos des ignorants. Le Québec se distingue de ne
savoir ni lire ni écrire sa langue française. Or, de nos jours, lire le vent et
la forêt ne suffit plus.
On se
demandera ensuite pourquoi il est si difficile de faire respecter le français
au Québec. Je ne vois pas pourquoi les anglophones et les allophones devraient
respecter le français, alors que les francophones ne savent pas le lire.
Le salut de
la langue française au Québec réside dans la rencontre des lettres et de ces
imaginaires qui ne savent pas lire. C’est plus de la moitié de notre univers.
Réformer
l’orthographe et la ponctuation, j’en suis. Mais il y a plus urgent. Il faut
d’abord brasser les consciences, leur montrer l’état de leur langue. Au royaume
du Québec, le péril ne vise pas la ponctuation ou l’orthographe, mais l’identité.
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