Il n’y a que
les mots. Les mots en lettres et les mots en images. Ce sont les mêmes.
Les lettres
sont séparées par un petit espace. Chaque mot se détache des autres pour
former une phrase, une idée, une image.
Les images
se content avec des mots. C’est la magnifique photo d’une jeune femme afghane
aux yeux verts hallucinants, en page couverture du National Geographic, en juin 1985. Voilà une version en lettres de
mots d’abord écrits en image.
L’opposition
entre mots et images a longtemps créé un irritant dans le milieu de la
publicité. C’est dû à un pléonasme historique. Au départ, il y avait un
rédacteur, appelé concepteur-rédacteur. En anglais, on dit writer, c’est plus simple. À l’époque, l’image venait en appui aux
lettres. Elle était produite par un graphiste.
Un jour, la
pub est passée à l’âge adulte. C’est la campagne Think Small, de Volkswagen. Pour la première fois, la pub s’adresse
à l’intelligence, avec une grande idée, pensez petit en Volkswagen. Il y a
aussi eu l’annonce Lemon, mettant en
vedette une coccinelle refusée par le service du contrôle de la qualité.
Cette
campagne a été nommée campagne publicitaire du XXè siècle. Le
concepteur-rédacteur était Julian Koenig et le directeur artistique, Helmut
Krone. Elle est là, la source de tension. Le directeur artistique ne porte pas
le titre de concepteur, alors qu’il en est un. Seul le rédacteur est gratifié
du titre, comme si l’autre était un exécutant. Dire d’un publicitaire qu’il est
concepteur est un pléonasme.
Les mots
proviennent de la mémoire collective. La nature, mes parents et professeurs,
les livres, la société, les films et ainsi de suite. On me les a enseignés un à
un, jusqu’à ce que je sois en mesure de les utiliser à mon tour. Je suis sur
Terre pour participer à la mémoire.
Ces mots
désignent aussi bien une table, que l’amour et l’univers. Ce sont ceux que vous
entendez dans votre tête lorsque vous lisez un texte, que vous nagez dans vos
fantasmes et vos colères.
Un bon
rédacteur crée des images avec des lettres. C’est le cas de Lemon. L’annonce ne sent pas le citron,
elle qualifie la voiture de pas bonne. Un bon directeur artistique raconte une
histoire avec une image. C’est le cas de Think
Small, comme si on avait loué un trop grand studio blanc pour la photo d’une
petite voiture timide.
En
littérature, c’est Le parfum, de
Patrick Süskind. Les lettres sentent le parfum. C’est Putain, de Nelly Arcand. Les lettres sentent le sperme. C’est Cent ans de solitude, de Gabriel Garcia
Marquez. Des lettres en spirale.
En peinture,
c’est Les ménines, la noblesse de
Velázquez; Guernica, la colère de
Picasso, ou Le philosophe en méditation,
la lumière de Rembrandt.
Pour décrire
la toile de Rembrandt, j’ai besoin des mots maison, hommes, feu, face, à, la,
fenêtre, lumière, marches, escalier, centre, mains, murs, planchers, dalles, et
ainsi de suite. Il faudra aussi en utiliser qui ne sont pas dans la toile,
comme fabuleux, vivant, génie. Cette toile date de 1632 et pourtant, l’homme qui
se penche vers le feu est en 2016.
Les lettres
et les images forment les textes. Guernica
est un grand texte et Cent ans de
solitude est un film magnifique. Le résultat est le même. Une image crée un
impact sur moi à cause des mots que j’y lis. Les lettres font de même à cause
des mots que j’y vois.
Derrière les
lettres et les images, il y a des gens et des mots. C’est un endroit qui ressemble
à la Louisiane, il y a plus d’un million d’années. On dirait le sud.
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