En 1928, quelque part sur une
rivière américaine, une souris siffle en pilotant un bateau à vapeur. Le film Steamboat Willie, de Walt Disney, lance
la carrière de Mickey Mouse. Nous avons embarqué avec Mickey. Nous avons aussi
embarqué avec toute une panoplie de dessins animés, durant des décennies, des
Looney Tunes à Pixar: Donald Duck, Goofy, Popeye et Olive, Tweety Bird et
Sylvester, Aladdin, Woody, Bugs Bunny et sa carotte, The Coyote et Road Runner.
Beaucoup plus tard, le réalisateur Stephen
Spielberg donne de la gueule à un camion Peterbilt rouillé, pour le film Duel. Lorsque le camion poursuit une Plymouth
Valiant orange sur une route désertique, une âme de tueur émane de la rouille. Spielberg
nous fait embarquer dans son camion. Et quand le même Spielberg lance un requin
après des nageurs, rebelote. Nous avons tellement embarqué, les plages désertes
des États-Unis ont longtemps cherché des baigneurs. Et lorsque Clint Eastwood
mordille en gros plan son cigare Toscano dans un western spaghetti de Sergio Leone,
nous appuyons chacune de ses balles.
Au fond d’un lac, Popeye le vrai
marin est enchaîné. Le poids des chaînes le retient sous l’eau. Pendant ce temps,
à la surface, le méchant Brutus enlève la gémissante et longiligne Olive. Comme
il ne peut atteindre la boîte d’épinards qui gît sur le fond du lac, Popeye
utilise sa pipe comme chalumeau pour l’ouvrir. Toujours au moyen de sa pipe, il
aspire les épinards, brise ses chaines et vole au secours de la belle Olive.
Belle est un grand mot. La pipe est à Popeye ce que le cheval Jolly Jumper est
au cow boy Lucky Luke. Le petit cul que je suis rêve juste à manger des
épinards au fond d’un lac.
Nous aimons croire à ce qui n’existe
pas. Nous savons que cela n’existe pas et nous y croyons quand même. Ce qui
n’existe pas nous berce. Quand la publicité nous présente des produits, nous
embarquons. Lorsque j’écris sur un iMac de 24 pouces, deux pages de large, je
suis à la plage. Je m’approprie une partie du génie de Steve Jobs. Je n’aime
pas les PC et je ne suis pas le seul. Au cinéma, le Mac est associé aux bons et
le PC, aux méchants.
Voyez les marques, Chanel, Nike, Red
Bull, Jaguar, Coca-Cola et ainsi de suite. Nous savons que ces images sont
frimées et pourtant, nous embarquons. Nous consommons pour renforcer notre
identité. Avec mon nouvel iPhone que j’ai acheté avant toi, mon identité est
plus forte que la tienne. La fierté silencieuse se mesure en temps.
À Virginia City, Lucky Luke veut
rencontrer un notaire. Le chien Rantanplan, “sa bêtise m’étonnera toujours”,
vient d’hériter d’une grande partie de la ville. Lucky Luke représente le bête
pitou. Il demande au portier de rencontrer M. Chester, de l’étude Chester,
Chester, Chester & Chester. Lequel?, demande le portier. Le deuxième, je
crois. Vous le trouverez avec les trois autres, dans le bureau du premier, au
second.
Walt Disney et Clint Eastwood ont
une longueur d’avance sur la pub. Ils meublent notre imaginaire de personnages
et d’histoires fantastiques, alors que la pub travaille fort pour nous faire rêver
par la consommation. Mais la pub est une greffe qui a du mal à prendre. Nous
embarquons, en gardant un pied sur le frein. Lorsque Télé-Québec diffuse un
film sans publicités, je ne connais personne pour critiquer.
Je pensais à tout cela jeudi soir, en
revenant de mon cours création et langue publicitaire, à l’Université de
Montréal. Je pensais à tous ces efforts du commerce pour mobiliser
l’imaginaire. Il faisait noir et bon.
Je traverse la rue St-Germain, à
l’angle de la rue de l’Église. J’arrête au milieu de l’intersection, pas une
seule voiture en circulation. Les rues sont désertes et humides, comme au
cinéma. Vous remarquerez, les rues sont souvent mouillées au cinéma. On appelle
cela un wet down. L’effet est très
beau, aussi romantique que dramatique. Tout ce qui manque à mes quatre bouts de
rue, c’est de voir rouler des arbustes secs, poussés par le vent.
L’acteur américain Cary Grant est
exactement au même endroit que moi, dans North
by Northwest, du réalisateur Alfred Hitchcock. Il est à l’embranchement de
routes de campagne en gravelle et pas une voiture en vue. Cary Grant est
entouré de champs et moi, de maisons. Les lieux sont différents, l’angle est le
même. Si cela se trouve, mon emplacement était identique au sien, il y a 150
ans, au temps des fermes. Pour Cary Grant, le danger ne vient pas d’une
voiture, mais d’un avion.
J’ai sauté en même temps que
l’explosion. La DeLorean inox de Marty McFly est passée devant moi à 88 miles à
l’heure, poussée par une boule de lumière électrique. Elle arrivait de 1985.
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