Le vendeur est le film du siècle. Je soupçonne le réalisateur
Sébastien Pilote d'être un peu lent parfois, de rester dans sa chaise à
regarder devant lui un instant, une fois la phrase finie, comme s’il était dans
la lune. Sébastien Pilote me donne l’impression de ce touriste qui, après avoir
vu une toile dans un musée, reste encore un peu devant elle, alors que le
groupe s’éloigne. Il n’est pas dans la lune, il est dans le temps, la denrée de
ce siècle. D’ailleurs, son film aurait pu être intitulé Le temps. Le héros du film, le vendeur d’automobiles Marcel
Lévesque, est le vendeur du mois de décembre au concessionnaire Dodge, à
Dolbeau-Mistassini. Il incarne aussi le temps, une espèce en voie de
disparition si nous ne faisons pas attention.
Une fois l’action terminée, il arrive que la caméra reste
sur le personnage Marcel Lévesque. Elle le regarde regarder devant lui, comme
s'il entrait lentement dans sa bulle et que nous le regardions entrer. Ce
moment est très calme, d'autant qu'il est rare. Il est vrai que le rythme de nos
écrans prend de plus en plus de vitesse, les clips, les nouvelles, les montages,
l’impatience, la consommation, la lumière. Le
vendeur nous rappele ce qu'est le temps, ce moment entre la fin de l’action
et la fin du plan, le blanc entre deux dessins d'une bande dessinée. Le temps
est un espace. Dans le film de Sébastien Pilote, je le sens et je le vois.
On dit que Sébastien Pilote a récidivé dans Le démantèlement. Pas sûr. Le vendeur a
le ton juste, celui d'un homme souvent seul dans sa bulle, dans un village un
peu isolé entre deux bouts de forêt. Une fois le camion passé, la route ne
bouge plus, les arbres et la neige non plus. Le fermier qui s'apprête à
démanteler sa ferme dans Le démantèlement
ne parle pas la langue du cultivateur. Pas celle de ceux que j’ai connus. L’accent
des fermiers que j’ai connus était gossé comme le manche de leur fourche. Leurs
fermes n'existent plus, leur accent non plus. Le fermier qui démantèle sa ferme
dans Le démantèlement parle comme les
producteurs laitiers d’aujourd’hui, ceux qui cultivent la terre avec un
tracteur et un mac. Le fermier du Démantèlement
est leur père. Quand il était petit, il ramassait le foin à la fourche et
jouait au docteur dans la grange. Ce n’est pas un reproche, c’est un autre
temps.
Le temps nous aspire vers lui, dans un moment forcément
silencieux. Quand je parle, je ne vois pas le temps passer. Quand je réfléchis,
non plus. Pour le voir passer, je dois le regarder. Dans la série documentaire Liban, des guerres et des hommes, le
réalisateur Frédéric Laffont nous montre souvent le temps. Un homme raconte
comment sa soeur de 17 ans a explosé dans la rue, lorsqu’elle a reçu une balle
explosive dans le coeur. Le temps est arrivé juste à la fin de sa phrase. L’homme
regardait devant lui. Il ne voyait pas le mur de la pièce, il ramassait les
morceaux de sa soeur. Le temps fait partie du processus de communication. Pas
en tant qu’univers enveloppant, en tant que personnage.
C'est The Bridges
of Madison County, de Clint Eastwood. Un film à trois personnages, Meryl
Streep et Clint Eastwood. C’est la très belle histoire d’une séduction entre un
photographe et la femme d’un fermier. Les 135 minutes du film semblent durer
les quatre jours d’une histoire qui a marqué deux vies. L’impression suspendue
qui demeure, comme un petit bonheur, est celle du troisième personnage, le
temps.
Le temps
passe vite parce que nous ne prenons pas soin de lui. Nous ne le regardons pas.
Nous sommes trop pressés à occuper le plancher, à dessiner des miroirs, à nous
faire croire que nous avons des amis. Pour voir le temps passer, nous devons
nous tourner vers l’autre et regarder. C’est le début du verbe aimer.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire