Dès le début de la grève étudiante, février 2012, j’ai dit à ma fille Camille
que les montants en jeu ne me paraissaient pas valoir une grève. Je n’ai pas
changé d’idée. Une hausse de 325$ par année durant cinq ans, l’équivalent d’une
semaine de travail au salaire minimum, cela me semble bien peu. Une hausse de
75% après cinq ans a l’air faramineuse, mais 75% de pas grand chose égale pas
grand chose. Camille a voté en faveur de la grève et elle n’a pas changé
d’avis, 17 semaines plus tard.
Je dois faire partie d’une
vieille génération. Quand il était question chez moi de problèmes liés à
l’argent, papa disait on travaillera une
couple d’heures de plus. Je ne suis toujours pas
convaincu. Je ne parle pas des grands principes, de la gratuité scolaire, du
néolibéralisme et tout ça, c’est autre chose, quoique.
La gratuité scolaire est un jeu de mots. Ce qui ne sortira plus de la
poche des étudiants viendra des taxes et des impôts de leurs parents. Quatre
trente sous pour une piastre. À ce prix, je veux bien.
Ceci dit, j’ai dit à Camille profites-en,
vas-y, milite, tu vas apprendre plein de choses que l’école ne t’apprendra
jamais. L’école enseigne-t-elle davantage quand elle est fermée?
Mon ami Bory Seyni est journaliste à Niamey, au Niger. Un jour, il m’a
emmené voir le Sahara. C’était un énorme mur de vent chaud soufflant vers le
sud. Tellement chaud, les arbres deviennent de la pierre. Le vent transforme
les arbres en sable, à raison d’un kilomètre par année.
J’ai connu Bory à l’UQAM en 1981, durant nos études de Maîtrise en
Communications. À l’époque, Bory était rédacteur en chef du Sahel, le seul journal de son pays. Il a
plus tard fondé l’hebdomadaire Le
Démocrate.
Pour faire une histoire courte, Bory a déjà été battu par un ministre du
gouvernement nigérien pour avoir trop bien informé ses lecteurs. L’histoire a
fait le tour d’internet. Il a aussi émigré durant plusieurs années au Sénégal
pour assurer sa sécurité. Il est maintenant de retour chez lui. À propos de la
grève chez nous, Bory écrit: Vu d'ici, cela a l'air d'un jeu
de "petits bourgeois" bien rassasiés. Au Sahel, c'est la famine et la
guerre. Je redoute simplement que l'Amérique y vienne avec ses gros sabots par
le canal des Nations unies. Comme en Afghanistan. Mais le pire n'est jamais
sûr, n'est-ce pas ?
Cela a l’air loin de nous tout
ça, le Niger, la guerre, et pourtant. Il y a 10 mois à peine, j’ai fait un
séjour de six semaines au Mali, le pays voisin, pour écrire un plan de
communication, dans le cadre d’un grand projet démocratique du gouvernement du
Mali. Aujourd’hui, 10 mois plus tard, c’est le chaos là-bas. Plus de projet de
démocratie, on parle de la sharia, d’Al Qaida au Maghreb islamique, des
rebelles Touareg, exit la démocratie. L’idée même d’y aller n’est plus une
bonne idée. La guerre est un peu dans ma tête parce qu’elle est dans la cour de
mon ami.
Dix-sept semaines de grève à 200 000 étudiants, cela fait 3 400 000
semaines de perdues. Je veux bien, le printemps érable, les chaudrons et tout
ça. Je ne peux m’empêcher de penser quel maudit gaspillage.
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